Traversée des Gastlosen

Les montagnes, c’est comme le chocolat : on en a tous une préférée. Une qui nous fascine depuis notre plus tendre enfance (moi pour le choc, c’était le Galak ; j’étais fascinée par le dauphin dans la pub. Et puis on grandit et on se rend compte que niveau goût, à part du sucre… mais bon, ça c’est une autre histoire). Pour les montagnes par contre, il y en a une qui m’a toujours fascinée et dont je ne me suis jamais lassée : les Gastlosen.

Pourquoi ? D’abord parce la gruyérienne que je suis à grandi à côté. Ensuite, parce que des années plus tard, Loretan (l’un des tous grands alpinistes du monde, qui est né dans la même ville que moi), avait dit lors d’une conférence à ma classe, à l’école primaire, que pour lui la plus belle montagne c’était « les Gast’». Ca a effectivement été son terrain de jeu toute sa vie. Ensuite, parce que cette chaîne, toute découpée, est unique et est objectivement, on peut le dire, hyper belle.

Je l’ai d’abord approchée lors de randonnées ; j’en ai fait un peu le tour, et puis nous l’avons gravie avec Guillaume en faisant la Marti (je me rappelle de la première longueur dans la cheminée qui nous a coûté une sangle et pas mal de sueur froide…). La traversée des Gastlosen c’était pour moi un rêve. Un truc assez ultime. Le Galak ET le bon goût de chocolat.

Et comme toujours, on prend la décision de la faire quand tout va bien. En vacances en Croatie, en train de boire du vin blanc et de tremper les pieds dans la piscine. Vous savez, ces moments de bien-être (oui : ceux-là même où l’on prend des décisions à la con). D’autant plus que bon… il y a 6 semaines, j’ai eu la bonne idée de me faire ma première fracture de ma vie : au coccyx. (comment ? Je vous laisse choisir la version : héroïque : en faisant la face Nord du Cervin. Pathétique : en passant l’aspirateur sur mon balcon). Pas trop de sport (pas du tout en fait) pendant 4 longues semaines…

Mais bon, le vin blanc croate, ça donne des ailes, et on décide donc, au lendemain de notre retour de l’aéroport, de tenter la traversée. J’appelle notre guide Jérome, qui l’a faite avec un ami quelques jours avant, pour lui demander des conseils. Il me dit qu’on devrait y arriver en 8h. Faut dire qu’on  ne connaît pas du tout l’itinéraire et que bon, niveau grimpe, je ne suis pas une flèche.

Nous partons tardivement de la maison. Le mois de juin et sa longue luminosité nous offre l’avantage de pouvoir exploser l’horaire, il devrait faire jour jusqu’à 22h…. Mais Guillaume m’ordonne de prendre la frontale. On n’est jamais trop prudent !

On part de la voiture à 10h, sans se presser. Il y a une heure d’approche, « dru dans l’pentu »… Les Gast se découpent et deviennent imposantes. Ah ouais quand même… ça en fait, du chemin….

Nous arrivons au Col d’Oberberg et mettons notre baudrier et nos chaussons. La première longueur n’a pas de spit ; même si elle est toute facile, elle nous met en condition, car les spits seront une denrée rare sur toute la course…

Le premier sommet se gravit en 3 longueurs, qui se composent de prises aussi patinées qu’une piste de curling. Au moins, impossible de ne pas trouver l’itinéraire ; chaque prise est méga lustrée. Je suis contente d’avoir mis mes chaussons (enfin… ceux de Joëlle, la quiche que je suis a oublié les siens en Croatie !), et je suis assez déstabilisée par ces prises patinées. Mon éthique n’hésite pas à détourner le regard pour me laisser me tracter sur une dégaine dans un petit pas en 5c+. Il faut dire que niveau cotation, rien que le 4b chauffe déjà bien…. Ah je comprends mieux pourquoi Loretan était un si fort grimpeur !

Nous arrivons tout de même rapidement à l’Eggtrum, premier sommet…. Et pas le dernier ! La vue est vraiment magnifique, mais on ne tarde pas trop car la route est encore longue… (la joie des arêtes, quoi!)

On désescalde ensuite le sommet pour continuer sur le Grand Pouce. Et alors là bon… Guillaume part en premier et se retrouve dans une voie, avouons-le, bien merdique. A voir, ça n’a pas mais alors pas du tout l’air simple. Et on ne voit pas trop de protection (pour changer…). Que faire ? Il pourrait sortir mais y arriverai-je ensuite, sans exploser l’horaire ? Je ne la sens pas, et lui propose de redescendre. On laisse une sangle (allez, disons que c’est une petite offrande à la montagne !).

On continue en schintant le prochain sommet (pour une fois au nom prononçable : le chat) et l’on se dirige vers la Pyramide, énième sommet, qu’on atteint en 2 jolies longueurs. La première longueur ne se protège pas vraiment… pour changer! Mais on commence à avoir le pied plus sûr, et on fait désormais la course en grosses.

Bizarrement, je grimpe mieux en grosses chaussures, ça m’oblige à bien placer mes pieds et mon corps. Si le premier sommet était super patiné, la suite est bien plus jolie niveau grimpe ; j’imagine qu’il y a moins de passage et que la plupart des gens s’arrêtent au premier sommet. On voit d’ailleurs quelques casques au loin qui y sont. Le vent s’est levé, et je sais que la course est encore longue, et je commence à fatiguer. Combien de sommets encore ? De rappels ? Où est la sortie ? Exploserons-nous l’horaire ? Il était pas un peu flippant le dauphin dans la pub Galak ? L’hélico que j’ai vu avant il allait récupérer qui ? Qu’est-ce que je fous là ? J’ai pas un mauvais pressentiment là ? Pis c’était pas trop ambitieux de faire ça sans guide ?

Du sommet de la Pyramide, nous désescaladons et continuons notre traversée pour rejoindre la Marchzähne. Malgré les 2 lignes du topo camp to camp, c’est long… La première longueur débute par une cheminée, j’entends mon sac qui frotte, j’ai peur pour mon pantalon et ses déjà trop nombreux trous, et surtout, je me déleste d’un grigri, qui n’aura pas supporté la proximité avec la roche. Je crois que je suis la championne du monde niveau perte de matériel en tout genre, et je vous conseille de faire les voies juste après nous pour vous refaire un stock de grigris, dégaines, lunettes de soleil et autres petites offrandes que je fais malgré moi… Nous poursuivons avec la seconde longueur qui nous amène à ce sommet; on cherche à nouveau des spits et Guillaume part à droite chercher deux vieux pitons qui nous permettent de tester notre aisance (toute relative pour moi) sur de la dalle en chaussures de montagne !

Bref Elise-la-bad-trip est là en force, je tremble, j’angoisse. Mais mine de rien j’avance… –  enfin surtout Guillaume hein, qui y va, qui prend sur lui et qu’un spit tous les 15 mètres ne fait pas peur. Ce type m’impressionnera toujours je crois.

Je me retourne et vois tout le chemin parcouru. C’est assez impressionnant ! Et c’est surtout tellement beau.

Mais la croix de la Glattewandspitze paraît tellement loin ! Non mais c’est quoi cette arnaque ? Je la croyais juste là moi…. Faut redescendre ? Puis traverser ? Puis remonter ? Je commence à me dire que cette petite frontale au fond de mon sac n’était pas une si mauvaise idée. On était quand même mieux en Croatie à picoler qu’à se foutre au taquet en montagne non ? Ne trainons pas… nous faisons deux rappels qui nous emmèneront vers le dernier sommet. La corde est un poil courte et nous devons désescalader les derniers mètres.

Mais comme dit ce bon vieux Mike Horn: chaque pas te rapproche de la maison; alors nous avançons petit à petit, escaladons, désescaladons, traversons… Les deux dernières longueurs sont sympa, la dernière est sur dalle et je ne suis pas mécontente d’arriver à la croix, qui me paraissait pourtant il y a une heure à des années lumières…

De là, nous refaisons deux rappels et entammons la desescalade pour nous rendre au col des moutons, qui semble lui aussi à des kilomètres ! L’avantage de se trainer, c’est que la lumière de fin de journée devient vraiment belle, et même si on se réjouit du rivella et de la voiture, on apprécie le panorama.

Il faut d’abord désescalader un petit couloir, rejoindre une sente et longer la crête. Le topo indique des cairns… le seul que j’ai vu était placé dans un couloir. Un cairn pour indiquer une fausse direction. S’agit-il d’une conspiration ? Des alpinistes qui ont trouvé super drôle de mettre une fausse indication ? De cairns qui en avaient marre de voir des montagnards exploser l’horaire ? En tout cas ce ne sont pas les premiers cairns fourbes que je croise. Vous voilà prévenus !

 

Nous arrivons au Col des Moutons avant 20h ; un regard en arrière et les Gast se dévoilent plus belles et impressionnantes que jamais, avec une lumière folle. Quelle ambiance, quelle récompense. Nous étions seuls au monde sur cette arête, et je prends conscience du magnifique voyage que nous venons de faire. Il fait bon, il fait jour, on s’est pas trop gueulé dessus avec Guillaume, on n’a pas fini dans un ravin. Et on a surtout une chance folle de pouvoir partager ce moment hors du temps, où les Gastlosen nous font leur révérence. Une petite pensée pour Erhard, et pour d’autres.

Et maintenant : place à la fondue au Chalet Grat ! (et peut-être même à du chocolat Galak pour le dessert !)

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Topo et infos

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