Bietschhorn (3934m) arête W

Voilà plusieurs années que je rêve de faire un sommet dont je tairrai le nom ici. Parce que oui, ce ne sera pas encore pour cette année, avec la neige qui est tombé récemment. Il nous faut donc trouver un plan B ; cette fois, nous prévoyons une sortie avec nos guides / amis Eric et Jérôme. C’est vrai que le quatuor infernal que nous formons en a fait, des sommets ! Cervin, Zinalrothorn, Aiguilles rouges, traversée du petit et grand paradis, Gross Diamantstock… la liste s’allonge d’année en année et c’est toujours un plaisir de les retrouver.

On hésite pas mal entre la Dent d’Hérens et le Bietschhorn. J’avoue que la Dent d’Hérens m’a toujours un peu fait hésiter, car même si je la trouve magnifique, il paraît que l’approche est longue… Et c’est surtout bien haut ! Je n’ai plus remis les pieds sur un 4’000 depuis longtemps.

Eric propose le Bietshhorn. J’ai toujours beaucoup ri en entandant le nom de ce sommet ; c’est vrai qu’en le traduisant en anglais, Bitch-horn… bref… je ne vous fais pas un dessin (c’est mon côté nunuche, hein, les jeux de mots à 2francs). Mais il est surtout surnomé le roi du Valais. Et c’est vrai qu’on le voit d’un peu partout, ce sommet ! D’ailleurs, ni Eric ni Jérôme n’y ont mis les pieds, ce serait une première pour nous 4. Enfin, ce sommet n’est pas un 4’000. A 66m près. Et du coup, il est bien moins populaire que plein d’autres sommets. Un presque 4’000, une première pour nous 4, avec du joli caillou à ce qu’il paraît, et une déclinaison à l’infini de jeux de mots nazes à faire avec son nom : bingo. Bietschhorn, nous voilà !

D’abord, il faut se rendre au fin fond du Valais, dans le Lötschenthal. Je ne connais pas du tout ce coin reculé du Valais, et c’est bien dommage car ça a l’air sublime et sauvage. Nous rejoignons la Bietschhornhütte après un peu plus de 2h de marche, sous un soleil étouffant. La première heure pour moi est très compliquée. Je digère encore le repas de midi, je transpire à grosses gouttes et je me traine. Il n’y a pourtant que 1000m de dénivelés… mais je sais que de la voiture au sommet, il y a 2500m de dénivelés. Même qu’on voit le sommet depuis le parking. Il a l’air de toucher le ciel, même d’être dans une autre galaxie tellement il est loin. Sérieux ? On va vraiment aller là-haut ? Bon, une chose après l’autre. D’abord la cabane.

Le chemin de randonnée passe d’abord par la forêt, et c’est tant mieux, heureusement qu’il y a un peu d’ombre. Le chemin est régulier et monte de manière assez efficace. On aperçoit assez vite la cabane, qui est digne d’une vraie carte postale de la Suisse. Heidi ne doit pas être bien loin. Quelle jolie et authentique cabane ! A l’heure où de plus en plus de cabanes de montagnes sont modernisées, celle-ci est un vrai rayon de soleil d’authenticité et d’histoire. C’est d’ailleurs la plus ancienne cabane alpine de Suisse. Le paysage est magnifique et même la toilette est panormique.

Minuscule cabane de 22 places, et ce soir il n’y a que nous, le nouvel aide-gardien, son papa, et le gardien. Un authentique valaisan hyper sympa et accueillant. Quel bonheur. Comble de la perfection, tout ici est cuisiné avec des produits de la région. Le gardien nous explique avoir acheté une vache entière au paysan du coin, et la cuisiner durant la saison. Tout est fait maison aussi. Bien des cabanes pourraient s’inspirer d’un tel accueil et d’une si savoureuse cuisine ! On se régale avec des lasagnes maison et une petite crème vanille-pommes cannelles pour le dessert. Le tout accompagné d’un bon verre de vin (et du fameux coca pour Jérôme).

Le réveil est prévu à 2h30 pour un départ à 3h. Ah oui quand même. C’est sacrément tôt. Et si on part si vite… c’est que la course doit être longue… Il reste tout de même 1500m jusqu’au sommet !

Une étape après l’autre. Je décide de ne pas prendre de petite pilule pour dormir, histoire de ne pas me réveiller en mode zombie. Je ne ferme pas l’œil, mais le dortoir est super calme et j’admire les étoiles depuis la lucarne. C’est beau.

A 2h30, à la sonnerie du natel, Eric pousse un « putain, c’est trop tôt » partagé par nous tous. Pour ma part, après une nuit sans dormir, je ne suis pas mécontente de me lever.

On est seuls pour le déjeuner, sans stress, sans autres alpinistes, et j’apprécie ce calme. Le gardien s’est levé rien que pour nous et nous dit bonne chance avec un méga sourire. Wow. Quelle classe. On enclenche nos frontales et on se met en route. La première partie consiste à rejoindre le col du Bietschhorn via un petit chemin qui part droit derrière la cabane. Il est bien tracé et monte régulièrement. On discute, on rigole, il fait bon, les étoiles brillent. Le gardien nous avait dit 2h pour rejoindre l’arête, 3h sur l’arête, 5h de descente. Au bout d’une heure de montée, Jérôme nous dit qu’on devrait rejoindre le col dans 5 minutes. Sauf que non. A chaque fois qu’on pense le rejoindre, il y a un autre ressaut à franchir et c’est assez interminable. Heureusement qu’on fait ça de nuit, ça passe plus vite.

On arrive enfin au col ; il commence à souffler. De là, il faut redescendre pour reeeeeeemonter. Non mais quelle idée ; comme s’il n’y avait déjà pas assez de dénivelés comme ça ! On traverse un glacier, on enfile nos crampons en cours de route car c’est bien gelé, et on continue. Un pas après l’autre. Il nous faut ensuite remonter jusqu’au départ de l’arête, dans une sorte d’éboulis et de cailloux branlants. Tout de suite, on parle moins et on avance comme on peut (enfin… surtout moi !). Après 3h, nous nous arrêtons enfin sur l’arête pour nous encorder et déposer les bâtons. 3h d’approche… c’est long !! Surtout dans ce terrain. Le jour commence à se lever, et on assiste à un lever de soleil d’anthologie, avec un Weisshorn qui se transforme en boule de feu. C’est vraiment magique… On a la vue sur tous les 4000 ; Dent Blanche, Ober, Dôme…. Un panorama à 360 ! Mais il nous faut avancer, on a déjà pris 1h de retard sur les estimations du gardien. N’empêche, en voyant déjà le chemin parcouru, que ce soit en distance ou en dénivelés, je me demande comment on peut tenir l’horaire des 2h pour 900m de dénivelés, si ce n’est en mode trail !

Jérôme et Guillaume partent sur l’arête ; Guillaume fait le guide pour s’entrainer, coaché par Jérôme. C’est chouette, ça nous permettra d’être plus autonomes en montagne. Moi je suis Eric. L’arête a l’air de bien grimper, mais comme la course a l’air longue, Eric préfère contourner l’arête et la longer. Il y a tout de même quelques mouvements de grimpe, mais il faut tester toutes les prises… vraiment toutes. C’est un terrain hyper instable et je suis rassurée qu’il n’y ait pas d’autres cordées sous nos pas !

Le vent s’est à présent levé et il fait froid. On est à l’ombre, on le sera jusque sous le sommet et j’ai mes super pantalons qui n’ont pas de ceinture. Du coup, j’ai les reins à l’air et je suis congelée. J’ai beau redescendre ma softshell toutes les 2 minutes, mes couches remontent et le bas de mon dos est à l’air. Je gèle. Heureusement que la vue est magnifique pour me changer les idées. On prend des photos de Jérôme et Guillaume, qui ressemblent à deux petits chamois en ombre chinoise sur l’arête. Ils s’éclantent, la grimpe a l’air top, et ils escaladent même les gendarmes. C’est vraiment beau. Quel cadre sauvage !

Je m’arrête pour mettre des couches supplémentaires, et ça va tout de suite mieux. Le sommet se rapproche petit à petit, mais il est encore bien loin…. Dis donc, ça se mérite, ce presque 4000m ! En plus des cailloux qui restent dans la main, il y en a pas mal qui sont bien verglacés à cause de ce maudit vent.

   

On arrive bientôt vers la tour rouge rocher rouge. L’escalade n’est pas difficile mais c’est plaisant. On rejoint bientôt l’arête N, et de là, un replat nous attend pour une petite traversée aérienne. Je fais bien évidememnt preuve d’une classe toute relative pour la traversée, et nous atteignons bientôt le sommet ! Il est 10h, nous voilà partis depuis 7h… (tout ce petit monde y serait arrivé 2h avant si j’étais meilleure, je sais… mais bon… on ne se refait pas !)

  

Au sommet, il y a le soleil et pas de vent. C’est inespéré et ça fait un bien fou. On contemple le panorama, c’est vraiment dément. Je suis hyper contente d’être avec ces 3 braves hommes sur ce sommet. Mais j’appréhende déjà la descente… Et j’ai bien raison !

La première partie consiste à désescalader l’arête. Je suis Guillaume et Jérôme, Eric me coache à fond, m’encourage toutes les minutes et ça me booste bien. Je tiens bien la route et ça déroule. Oui sauf que… je commence à avoir sacrément faim. Et vous savez la meilleure partie de l’histoire ? Je suis partie de la cabane sans acheter à manger et je n’ai plus rien dans mon sac ! C’est un comble, moi qui transporte toujours 3x trop à manger et à boire… là, mes 4 petites branches de choc sont déjà de l’histoire ancienne, et je me mets à me maudir en me revoyant jeter un Bounty qui avait fondu dans mon sac. Je tuerais pour un bounty. Un bounty fondu. Un bounty tout écrasé au fond de mon sac. J’ai faim. Je meurs de faim. Je tremble et je n’avance plus. Guillaume et Jérôme sont désormais à des miliers de kilomètres, moi je n’avance plus. Eric, qui est quand même d’une patience infinie, essaie de m’encourager comme il peut. Lui non plus n’a plus rien à manger. Non mais comment je vais faire pour descendre ces 1200m de dénivelés ? Eric appelle Jérôme pour qu’ils nous attendent à la dépose des bâtons et me garde un truc à manger. Je prends à fond sur moi pour essayer de continuer coûte que coûte, mais c’est un long chemin de croix et j’implore Eric d’appeler l’Hélico (je sais qu’il ne le fera pas, parce qu’il ne faut pas déconner, je ne suis pas blessée, j’ai qu’à bouger un peu mes fesses, mais ça me fait du bien de faire ma drama queen ;.-) )

On choisit de quitter rapidement l’arête, mais le flanc de la montagne est toujours aussi instable. Dès qu’on pose un pied, des cailloux dégringolent. C’est sport. Je désescalade sur les fesses autant que possible. C’est pas classe du tout mais ça me permet de m’économiser. Sauf que mon pantalon apprécie moyennement et je me retrouve la fesse à l’air, mon pantalon en lambeaux. Je ris et dis à Eric que je suis désormais raccord avec le Bitch-horn, et pour une fois, je suis presque contente d’avoir de la cellulite sur les fesses pour affronter le froid !

Ma fesse à l’air et moi-même arrivons vers Jérôme et Guillaume épuisées. Eric a été franchement d’une patience exemplaire. Comme d’hab. Ce type est incroyable.

Je dégomme tout ce qu’on me propose. Fruits secs, bonbons, coca. Jérome me propose un Mars. Un de ces vieux mars qui trainait dans son sac, qui est tout éclaffé. Le meilleur mars que j’ai mangé de ma vie. De loin. Mon dieu que c’est bon. Le slogan « un mars et ça repart » n’aura jamais été aussi pertinent ! C’est requinquée que je repars. Je retrouve un rythme et ça va clairement mieux, même si on est loin du compte. Ah la la, ces descentes, c’est toujours beaucoup trop long ! Faut vraiment que je me mette au parapente !

Pour rejoindre le col et nous éviter de remettre les crampons, on décide de contourner le glacier et de rejoindre le col par l’arête. C’est efficace et ça nous fait gagner pas mal de temps. Ensuite, nous filons jusqu’à la cabane. 5h après le sommet et 12h après notre départ, nous arrivons à la cabane. Une bonne tarte de Linz maison (quel paradis, cette cabane !) et nous descendons les derniers 1000m pour rejoindre la voiture. Elle qui n’était qu’un minuscule point depuis le sommet grandit petit à petit.

C’est fatiguée mais heureuse que je retrouve mes bienaimées tongs et un t-shirt propre. Un coup d’œil vers le sommet, 2500m plus haut… dire qu’on y était ce matin même !

Une belle course. Longue. Très longue. Mais belle. Avec des amis indulgents et bienveillants, qui m’ont attendue, nourrie, vannée aussi.

Une fois repartis en voiture, un méga orage s’abat. On est bien contents d’être au sec… ça doit être tout de suite moins drôle, là-haut.

Une conclusion ? Vive les Mars éclaffés et salvateurs. Vive les pantalons avec ceinture. Vive les copains qui vous attendent patiemment alors qu’ils pourraient déjà être à la cabane depuis des lustres. Vive les grands-parents qui sont d’accord de garder notre petit pour nous permettre de vivre de si beaux moments en montagne. Et les moins bons aussi, qui nous permettent de nous surpasser et de nous montrer que rien n’est acquis (ce n’est pas le trou béant de mon pantalon qui dira le contraire !)

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