Zinalrothorn (4221m)

La première fois que j’ai été à Zermatt, c’était vers l’an 2000, pour le Nouvel-An. J’avais détesté le côté surfait, les anglais ivres morts avalant des flots de champagne bon marché, les manteaux de fourure et les « happy new year » aussi spontannés et sincères que les « Bonjour comment allez-vous » du boulanger du coin de la rue.

A 23h30, je me suis couchée, sans avoir vu le Cervin (à cette époque, j’ai même dû lâcher un « Cer…quoi ? ». Joyeuse année.

Les temps changent, les personnes aussi parfois, et fin juillet 2012, je me retrouve à Zermatt, cette fois sans champagne bon marché, mais avec un piolet, un sac de 28 litres, un chéri passionné d’alpinisme et 2 guides incroyables : Jérôme et Eric.

L’idée de base était de faire le Cervin, mais les conditionns ne nous le permettant pas, nous nous rabattons sur le Zinalrothorn. Un 4000 sublime, que j’ai toujours voulu gravir (enfin, heu… toujours… depuis que je fais de la montagne, on s’entend), et j’avais d’ailleurs fait part à Jérôme et Eric en début d’année de ce souhait. Ils m’avaient répondu « heu… d’abord le Cervin, le Zinalrothorn on le garde pour l’année suivante ».

Et ouais, j’avais été un peu ambitieuse sur ce coup ! Et puis j’avais eu vent de récits d’ascensions interminables, avec un retour à la cabane en fin de soirée. Imaginez donc ma surprise quand on m’a annoncé que ce ne serait pas le Cervin mais le Zinalrothorn !

Pour me rassurer sur ce gros tas de caillou, j’ai été voir plusieurs sites internet. J’ai mené l’enquête, étudié le topo, regardé un million de photos pour me rassurer et me dire que bon j’aurais peut-être les capacités de le faire. Et c’est là que je suis tombée sur le dernier récit de course de 2 alpinistes qui ont fait l’ascension la semaine d’avant, arrivés au sommet à 16h, bivouac et Réga pour le retour à 6h du matin…

Bref, plein de beaux récits encourageants et rassurants. Youpi.

Jérôme nous assure qu’il l’a fait il y a deux semaines et que les conditions sont bonnes. La météo annoncée est belle, pas de nuages à l’horizon, et faire un second sommet de cette couronne impériale me semble être un défi de taille, un défi à portée de main…

En route donc pour Zermatt. Heureuse de retrouver les 2 guides, flippée bien sûr de savoir ce qui m’attend. La montée à la cabane, avec ses 1600mètres de dénivelés, se passe bien, les paysages sont beaux. Petit à petit la végétation se fait rare, la moraine ressemble à un paysage lunaire. Arrivés à la cabane de la Rothornhütte vers 17h.

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2 autrichiennes nous servent le meilleur repas que j’ai mangé dans une cabane : osso buco savoureux, petite sauce à faire relever un mort, polenta crémeuse, un vrai régal. La nuit est courte et pour ma part blanche, avec ses couplets « je me retourne dans tous les sens » « je regarde le natel pour voir combien de temps il reste » « je remets mes boules quies pour ne pas entendre les ronflements ». 3h30, debout. Petit-déjeuner avec tartines de nutella et musique de Nina Simone (ya pas à dire, des fois c’est des petits riens qui rendent la vie plus chouette).

Départ à 4h30. J’ai le ventre noué, avant les premiers pas, les questions se bousculent, les doutes aussi, je respire un bon coup, j’allume la frontale, et je suis Eric. Guillaume sera encordé à Jérôme. Après 5 minutes, une première petite pause pour chausser les crampons. On traverse un glacier, il fait nuit, les étoiles brillent comme jamais. J’appréhende toujours la première partie de montée dans la nuit, mais je finis toujours par être étonnée du calme, de la sérénité et de la beauté d’une montagne avant le levé du jour. Comme si la montagne retenait son souffle, nous accueillait timidement, en allumant quelques étoiles pour veiller sur nous…

Le jour se lève, méticuleusement. J’adore ce moment. Même si le froid est là, que le vent se lève, les montagnes voisines se révèlent, le ciel s’embrase. Une montée régulière dans la neige que je gère plutôt bien (ma théorie du « ne regarde pas ce qui t’attend, focalise-toi sur tes pieds » semble plutôt bien fonctionner), puis un passage dans les rochers nous fait vite prendre de l’altitude.

Tout se passe bien, même si l’effort est intense, je gère ma respiration et mon rythme. Le Cervin nous fait sa révérence, son sommet se teint de rose… Moment magique. Ce genre de moment qui vous réconcilie avec les souffrances, les doutes et les angoisses.

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Nous atteignons une arête de neige, et de l’autre côté, une énorme montagne se dévoile. Je demande à Eric « Ne me dis pas que c’est ce truc énorme qu’on va faire ?!! » (parce que je vous jure, c’est ENORME et ça paraît aussi loin que la lune. Peut-être même un peu plus loin en fait). Eric, impassible, me répond « ben si ». Elise Saudou, 30 ans, achevée en 2 mots. Je n’y arriverai jamais, c’est beaucoup trop loin, beaucoup trop dur. Je suis démoralisée, je commence à trainer les pieds mais me ressaisis car l’arête neigeuse est plutôt gazeuse, mieux vaut donc me concentrer. Et puis je me rends compte qu’on commence sérieusement à obliquer à gauche, à s’éloigner du gros tas de caillous d’en face. Je regarde sur ma gauche et remarque un autre tas de caillous, clairement plus accessible et plus proche.

Interloquée, je demande à Eric « mais heu… c’est pas la montagne en face qu’on va faire ? ». « Elise, c’est le Weisshorn en face !! »

Ah voilà voilà. Comme quoi, la géographie c’est jamais complètement acquis. On peut dire ça comme ça.

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Du coup, le sommet du Zinalrothorn me paraît presque à portée de main. Me revoilà motivée, prête à tout donner pour arriver vers le petit Jésus qui se les gèle au sommet. Une nouvelle partie rocheuse, très technique, s’offre à nous. J’adore. Je ne me pose pas trop de questions, ne regarde pas en bas, ne pense pas à l’effort physique. Je reste concentrée sur chaque pas, et ça paie, on avance plutôt bien et malgré ma concentration, j’apprécie cette course sans trop souffrir.

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Nous attaquons ensuite un passage assez vertical, le couloir de Gabel. Malgré sa raideur, j’avance plutôt bien et ce qui paraissait être un long et douloureux passage est vite derrière nous. Je vois bientôt le petit Jésus, le sommet se dévoile un peu. Moment magique, où l’on comprend qu’on va y arriver. Quelques rochers encore, puis les derniers pas sur de la neige. Je vois Jésus, Jérôme et Guillaume qui m’attendent (j’adore cette phrase).

Ma gorge se noue, la pression se relâche, je suis émue. Ça y est. Au sommet du Zinalrothorn, avec la Dent Blanche, le Cervin, le Weisshorn et l’Obergabelhorn qui nous entourent. Rien que ça !

Nous ne restons pas longtemps au sommet, car nous savons que nous n’avons fait que la moitié. La descente n’est pas de tout repos et tout aussi longue que la montée. Nous restons concentrés, Guillaume et Jérôme nous précèdent ; on dirait de vrais petits chamoix, ils dévalent la pente et les rochers à toute vitesse. J’ai un peu plus de peine mais je garde le rythme. Les passages neigeux permettent à nos jambes et à nos pieds d’avoir un peu de répis. Quelques rappels (beurk j’aime pas ça) nous permettent de gagner du temps. Des nuages nous rejoignent, donnant une atmosphère assez irréelle, comme une sorte de purgatoire… c’est magnifique.

Un dernier rappel avant de retrouver la cabane. J’ai très chaud et décide d’ôter mon casque. Je négocie mal ce dernier rappel qui a un dévers pas vraiment accueilllant, mon crampon reste croché, je fais une pirouette, une chandelle quoi, je me retrouve les pieds en l’air et me cogne la tête contre le rocher. Une grosse frayeur, mais plus de peur que de mal.

Ça m’apprendra à enlever mon casque avant la cabane…

Retour à la Rothornhütte à 4, avec un rivella qui réconcilie (quelle belle invention), même si j’aimerais me réincarner en Paris Hilton pour appeler mon hélico privé afin qu’il me ramène directement à Zermatt.

Bon je ne suis pas Paris Hilton (et finalement c’est pas plus mal j’ai envie de dire), nous redescendons les derniers 1600mètres, qui finissent de courbaturer mes pieds.

Les arbres et les papillons réaparaissent, comme pour fêter avec nous cette fabuleuse journée que nous avons vécue.
Assurément l’une des plus belles ascensions à ce jour. Technique, vertigineuse et sublime.

 

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