Arête Nord du Weissmies

Une arête sublime, sur un rocher compact, une course engagée, sauvage et merveilleuse.

S’il y a bien une course qui s’est faite désirer, c’est bien celle-ci!

En 2013 déjà, lors de notre arrivée au col du Lagginjoch qui nous emmenait ensuite sur l’arête Sud du Lagginhorn, j’avais été subjuguée par l’arête Nord hyper esthétique et effilée du Weissmies. Et je m’étais dit qu’un jour, je la ferais.

Il y en a eu des réservations de cabanes, à chaque fois annulées pour cause d’angoisse ou de mauvaises conditions… Jusqu’à notre dernière tentative, il y a 2 semaines, avortée pour cause de… ma mauvaise compréhension de l’horaire de la dernière télécabine, manquée pour 8 minutes…

Et si cette fois c’était la bonne ?

A chaque fois, le rêve devenait de moins en moins réalisable, et c’en était rageant, parce que cette année, la descente par la voie normale est en bonnes conditions. Alors lorsqu’en vacances, on voit que la météo est enfin estivale, on s’organise et on se décide : cette fois, ce sera la bonne !

Départ donc de Saas Grund, pour la dernière télécabine (16h, hein, vous êtes prévenus!) chargés comme des mulets, et pour ma part, accompagnée d’un mélange d’excitation et d’une bonne dose d’angoisse. 

La cabane de Hohsaas est à 1 minute à pied des installations, au moins on ne se sera pas fatigués pour l’approche ! L’arête est face à nous, gigantesque, magnifique, les séracs du Weissmies et sa voie “normale” sont aussi beaux qu’inquiétants. Quel spectacle!

J’ai pourtant le ventre noué, je sais que la course est longue est engagée, je lis tous les topos, les compte-rendus, je me fais des tonnes de scénarios, je doute à mort, je me mets une énorme pression. Le soir, je touche à peine mon assiette et ne ferme pas l’œil de la nuit. ça promet pour la suite…

Le chien au bout de la laisse – allégorie d’un couple

Le réveil sonne à 3h45 et à 4h30, nous partons en direction du col. Il fait nuit, j’ai pas du tout envie de sortir de la cabane et de commencer cette course. Je trouve les départs toujours difficiles… Mais on est là, on a réussi à prendre la télécabine le soir, la journée s’annonce belle, alors GO!

Sous le col, le crépuscule dessine des ombres chinoises

On choisit une variante pour remonter au col, depuis le petit lac derrière la cabane, qui nous fait monter dans des pentes de neige puis longer l’arête. Je ne sais pas si c’est plus court, en tout cas je respire comme un bœuf asthmatique, et évidemment je me traîne. Guillaume m’a encordé et tire sur la corde. L’espace d’un instant, j’ai l’impression d’être un chien qui renifle la pisse d’un autre et qui ne veut pas décoller, malgré son maître qui tire sur la laisse de toutes ses forces (je laisse les psy de couple faire l’analyse de cette métaphore, hein). 

Le début des emmerdes

Non sans peine, on arrive au col. Il commence à faire jour. Je vois des échelles, je propose qu’on passe par là; mauvaise idée, les échelles sont trop hautes, du coup on revient sur nos pas et on arrive enfin au col… en ayant perdu 30 minutes avec mes conneries. C’est de toute beauté, le soleil débarque au même moment, les montagnes changent de couleurs à chaque seconde, quel spectacle !

lever de soleil spectaculaire
Guillaume dans les premiers mètres, et le début de l’arête devant nous

2 cordées ont déjà filé devant, on arrive pour un lever de soleil de toute beauté. Mais on ne s’attarde pas; l’antécime se dresse devant nous, la route va être longue. Guillaume démarre… dès les premiers pas, je vois que c’est très engagé. ça promet. Effectivement, quand vient mon tour, c’est la galère. Un mouvement de bloc me cueille à froid; je n’ai rien pour les mains, les prises sont fuyantes pour les pieds, je ne sais pas si Guillaume m’assure, bref, je galère, j’entends Guillaume me dire “mais bouuuuuge toi!!!”. J’arrive tant bien que mal à faire ce pas, je ne sais par quel miracle (putain! On aurait dû rester sur le fil!), et je le rejoins. J’attends le sermon, mais non Guillaume me dit juste “allez maintenant t’es une machine de guerre, hein!”. J’imagine un tank sur cette arête, je ne suis pas sûre que ce soit plus efficace que moi, mais bonne élève et pleine de diplomatie, j’acquiesce. 

Grandiose (et looooongue) arête

Le rocher est super bon et les prises adhèrent bien. Petit à petit, la boule au ventre se dissipe et ma confiance revient. Je reste super focalisée sur mes pas, j’assure Guillaume dans les passages techniques et exposés. Il y en a beaucoup! Je le vois s’élever, sans aucune protection, et j’essaie de ne pas trop y penser et de l’encourager.

L’un des passages techniques – magnifique dalle

La longueur sur dalle est belle, mais avec les gants c’est pas simple… je triche et tire sur la broche  – c’est d’ailleurs le seul moment de toute la traversée où je peux tricher.. parce que sinon, à part 3 spits qui se courent après…. on va dire que c’est sauvage hein, et que c’est clairement pas une course suréquipée!

Début de l’arête, aux lumières de l’aube

L’antécime se rapproche gentiment, je me dis que c’est la prochaine étape, et que je sais qu’ensuite la route est longue. Mais une étape après l’autre ! La cordée du début a filé, on suit la cordée d’espagnols devant nous, qui a à peu près le même rythme. ça me rassure de ne pas être la seule cordée sur cette longue arête. D’ailleurs, on en voit d’autres qui rejoignent le col en ayant pris la première benne. 

oui j’adore les traversées et les désescalades, surtout avec tout ce matériel pour me protéger en cas de chute…

Je sens l’altitude et Guillaume aussi; on a le souffle court – faut dire qu’on est presque à 4000m, et que ça grimpe bien… Mais je m’étonne moi-même; je suis super concentrée, je fais abstraction du vide abyssal qu’il y a sous mes pieds et j’avance tant bien que mal. 

De la jolie grimpe bien technique (en grosses)

On arrive sur l’antécime, on ne perd pas de temps et on file… l’arête se découvre, aussi belle qu’interminable. Faut aller jusque là-bas? Le sommet paraît appartenir à une autre galaxie. Mais j’y étais préparée, je sais que la moitié n’est pas encore faite. Pas grave : on a le temps, il fait beau, et je suis tellement heureuse d’être sur cette arête avec Guillaume, depuis le temps qu’on en rêvait!

La looongue et belle arête

(j’ai pas osé m’approcher plus du bord pour la photo, faut pas déconner non plus)

La suite de l’arête est tellement belle! Des dalles, des désescalades, des vires, des longueurs à tirer, mais la plupart du temps, on évolue dans ce cadre ultra sauvage en corde tendue. Je sais que c’est dans les sections qui déroulent qu’on peut gagner du temps, j’essaie donc d’avancer d’un bon pas, mais la fatigue commence à se faire sentir. 

oui, il n’y a aucune protection et c’est super engagé…

Guillaume, qui est en tête depuis le début, commence à fatiguer lui aussi. Faut dire que faire cette arête en tête n’est pas donné à tout le monde, vu le peu de protections et l’engagement que ça représente. On laisse passer 2 cordées qui courent littéralement sur l’arête (dont Simon Anthamatten et son client) et ça nous déprime un peu… 

un bon bout de parcouru depuis le col, mais clairement pas la fin!

Alors pour une fois les rôles s’inversent. Guillaume a un coup de mou? Je vais le motiver. Je vais suivre, je vais l’encourager. Allez. Encore une dernière partie grimpante, après ça va dérouler, j’en suis sûre!

Guillaume sur une magnifique dalle

Et effectivement, passé les dernières difficultés, l’arête est encore longue mais se parcourt plus aisément. On a l’impression enfin d’avancer. Je suis tellement contente d’être là et de me dire que je suis en train de réaliser un rêve!

Moi sur la dalle, vachement moins à l’aise
Là aussi une belle longueur (mais on commence à être cuits!)
grimpe avec vue (et sans protection)
C’est beau (mais c’est long!)
Petit passage neigeux avant l’arête de neige finale

Après quelques passages sur neige et rocher, on arrive au pied de l’arête neigeuse qui nous mènera au sommet. Elle est superbe, mais ses corniches ne me laissent pas sereine. Le temps de mettre nos crampons, on est rejoint par une cordée super sympa de valaisans qui font l’arête à la journée (avec 8 poumons et 12 jambes, je pense, pour tenir cet horaire!)

Dans les derniers mètres sous le sommet

Après une pause, on attaque cette arête. Le passage sous le sommet est en glace, et la pente est conséquente… j’essaie de ne pas y penser, de prendre sur moi, et on arrive en 20 minutes au sommet.

La joie, la glace, et la bière à la cabane

Autant je peux parler des heures de mes angoisses, des ronflements en cabane ou de ma passion du Rivella, autant expliquer la joie qui s’empare de moi à cet instant précis est impossible à décrire. Je hurle de joie, j’exalte. Je suis super fière de nous, de moi (moi qui, une année plus tôt, n’osais même plus faire une longueur sur un mur d’escalade!), on a le sommet pour nous seuls, on est heureux, putain ouais, on est heureux.

Heureux ! (et déshydratés, et crevés !)

Mais ce n’est pas fini, il faut redescendre… Et se concentrer. Les séracs, cette année, n’ont pas mauvaise mine, n’empêche, passer par-dessus ces crevasses géantes et ces séracs imposants, c’est vraiment une drôle d’expérience, et on essaie de presser le pas, car il fait chaud et ce serait vraiment con d’apparaître sur le 20 minutes pour un accident sur la voie normale…

Une partie de la traversée vue du sommet (on était tellement au taquet à la descente qu’on n’a pas pris de photos!)

On arrive enfin à la cabane. On est exténués. 6h sur une arête, à être concentré chaque seconde… Quel chemin parcouru, dans tous les sens du terme. Tout ça, sans (trop) exploser l’horaire, et en pouvant prendre la télécabine pour redescendre en plaine (hein Yannick!)

Alors merci, cher Weissmies, pour nous avoir permis de venir à ton sommet par le plus beau des itinéraires. Merci au ciel bleu et aux conditions optimales. Merci au Rivella dans mon sac, qui a remotivé Guillaume à mi-parcours. Merci Guillaume, merci de m’avoir fait confiance et d’avoir partagé l’une des plus belles courses avec moi. Et merci à mon mental pour tout le reste, il a fait un sacré job!

Infos et topo

Arête Nord du Weissmies / AD+ 4b III P3

Topo

Infos sur notre horaire : 1h30 cabane col / 6h sur l’arête / 20 minutes sur la neige jusqu’au sommet / 1h20 pour le retour en cabane

Leave a comment