Cascade du Pont – Arolla

La cascade du Pont à Arolla, pas longue, mais qui a l’art de nous faire perdre nos bras, nos mollets et nos appareils photo…

Durant les vacances scolaires, entre 2 sorties aux urgences pour cause d’enfant malade, on a repéré que la cascade du Pont vers Arolla était en condition. Et ça paraît assez improbable, car on ne l’a vue qu’une seule fois en condition…. mais il avait beaucoup neigé, du coup on avait préféré aller chez sa voisine, la cascade du Tunnel (où, du reste, on avait failli se ramasser une coulée sur le bec juste après avoir quitté le relais…)l. Il faut croire que celle du Pont est d’humeur printanière, et aime se former quand il fait 15 degrés à Arolla en février…

De là à dire que le réchauffement climatique à du bon, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas, parce que cet hiver a décidément été bien surprenant; des températures douces, très douces, des primevères début février, peu de cascades formées, de la neige de printemps (quand il y a eu de la neige…) bref, tout ça me laisse perplexe sur la suite, mais bon, je vais éviter de plomber le moral d’entrée de jeux. Au contraire, je vais peut-être même réussir à vous faire marrer, car sur ce coup-là, j’ai fait mon boulet puissance 1000.

La journée avait pourtant bien commencé. Un départ tardif, le cheni du coffre à transvaser dans les sacs, qu’on soupèse en haussant les yeux vers le ciel en se répétant inlassablement “comment c’est possible d’avoir un sac qui déborde et si lourd?”, et un départ de la voiture vers 11h, chargée comme des mulets. 

La cascade, et un bout de l’approche (qu’on fera en long en large en fin de journée)

Heureusement l’approche est courte, une vingtaine de minutes dans une pente de neige relativement raide, et en ligne de mire la magnifique cascade, bien formée, rien que pour nous. ça change de Cogne version “c’est les soldes ruons-nous tous aux mêmes endroits”. 

Arrivés au pied de la cascade, on creuse dans la neige une petite plateforme pour enfiler nos baudriers et crampons. C’est fou comme c’est toujours l’arnaque ces cascades… de loin ça a l’air tout facile, et sitôt au pied, on dirait un mur raide et interminable. Guillaume choisit évidemment l’itinéraire le plus dur…. pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! Au lieu de monter au milieu sur un mur vertical mais relativement court qui s’aplatit ensuite, il prend à gauche, où c’est raide…. tout du long. Bah oui, ce serait trop facile sinon… Pis comme il est sympa, il me demande ce que j’en pense, et dans ces moments-là mes neurones doivent être moyennement connectés, je dis “ouais ouais pas de souci passe par où tu la sens” (non mais l’erreur de débutante!!)

On essaie de ne pas trop y penser; je compte sur la tronche et les bras de Guillaume pour cette première longueur. Je précise un truc, même si je manque peut-être un peu d’objectivité, je trouve que Guillaume assure en glace. Je sais pas où il puise le mental et sa force, mais il m’impressionne à chaque fois. Parfois, je trouve qu’il est un peu avare en vis à glace, cela dit. Alors je ne vous dis pas ma surprise quand je le vois brocher tous les 2 mètres… Et me demander de le prendre sec à mi-longueur pour qu’il puisse faire une pause. Ah ouais quand même. Soit il est mauvais, soit la longueur est bien pénible (et comme je vous ai précisé avant qu’il était bon, je vous laisse faire la déduction). Pour ne rien arranger, il a fait du sport la veille et ses courbatures aux bras n’aident pas…  

là c’est le début de la cascade, il frime avec son planté de piolet, mais ça va pas durer

Il repart, continue le festival de la vis à glace (j’en compte 6!) et me dit qu’entre les “prends-moi sec” et les vis tous les 2 mètres, il a l’impression d’être en salle de grimpe à Echandens. Je n’aurais pas dit mieux. Il gueule un peu contre lui-même pour se donner du courage (oui, c’est étrange, mais ça a l’air de fonctionner) et arrive à un replat pour faire un relai. 

ça délaie sec….

Arrive mon tour, et pour la faire court, je n’ai pas, mais alors pas du tout envie. Déjà les premières longueurs c’est toujours ingrat, ça explose les bras et flingue le moral, mais alors là, à le voir galérer, et à voir la raideur… 

Le festival de vis à glace, et le « courage fuyons » pour arriver au relai

C’est sur un soupire que je prends mes piolets et applique l’adage du “courage fuyons, sur un malentendu ça peut passer”. La glace est dure, cassante, lisse, j’ai l’impression d’être dans un dévers continu tellement c’est raide. 

la fille au bout de sa vie qui arrive enfin au relais ! (avec ses 80 vis à glace)
Allez celle-ci c’est cadeau. La souffrance en une expression (ça change des sourires instagrammables)

Evidemment je fais tout ce qu’il ne faut pas: je me crispe à mort sur les bras et les mollets, j’oublie de respirer, et je suis complètement explosée après 3 mètres. J’essaie tant bien que mal d’avancer, mais je sens que tous mes muscles sont en train de me dire “mais putain Elise pourquoi tu nous fais subir ça??” et ils ne seraient pas contre une petite grève. Je regarde sous mes pieds, c’est le vide intersidéral, ah ouais c’est quand même super raide cette histoire, et même si je suis en second, j’ai tout de même peur de paumer mes piolets si je devais “chuter” (de quelques centimètres, oui, je sais). 

La deuxième longueur panoramique (moins raide il paraît… la bonne blague…)

Evidemment je fais ma Elise et je commence à gueuler “c’est trop duuuuuuuur” “j’arrive paaaaaaas”. Et vraiment, là, je crois que c’est au-dessus de mon niveau, et j’ai clairement de la peine à prendre du plaisir (à défaut des skieurs au loin qui profitent du spectacle visuel et sonore).  J’arrive par je ne sais pas quel miracle au relais sur glace qu’a fait Guillaume. Il me félicite (il est sympa, moi à sa place j’aurais coupé la corde je crois) et me dis que la suivante est plus facile. Alors si je pouvais pinailler sur le choix des mots, je dirais “moins atroce”, mais j’ai déjà tellement tout donné pour la première longueur que celle-ci reste une souffrance musculaire et mentale !

Je rejoins malgré tout Guillaume au relais; il y a d’ailleurs des abalakofs, j’imagine que certains sont redescendus en rappel de là…. à voir la tronche des cordelettes, qu’on voit à travers la glace, je me dis que le bon dieu est parfois bien conciliant ! 

Guillaume me demande si je veux faire la dernière longueur en tête. Ah. Oui c’est vrai que j’adore aller en tête en cascade, et là je suis pas du tout explosée, j’ai clairement les bras. Il insiste en plus. Bon pas longtemps, quand il croise mon regard.

Évidemment Guillaume fait son Guillaume et choisi l’itinéraire le plus dur qui part à gauche. Je fais des photos tout en l’assurant, car le cadre est vraiment beau, pur. Mais la glace est cassante et je suis pile dans l’axe. Je me reçois plein de neige et de glace, et décide vite de ranger l’appareil photo. Et c’est là, pile à ce moment, que je reçois sur le pouce un bloc de glace, qui me fait lâcher l’appareil… 

La dernière longueur (qui part à droite où c’est plus raide…), et la dernière photo de feu mon appareil Canon

C’est comme dans les films; il tombe tout doucement à mes pieds. Je suis sûre qu’il va s’immobiliser. Evidemment que non, c’était juste un peu de cruauté pour me donner de l’espoir. Il entreprend lentement mais sûrement l’irrémédiable chute. 

Je m’en veux, j’en veux à Guillaume, j’en veux à cette glace pourrie, j’en veux à la non sauvegarde d’une année de souvenirs en famille sur cet appareil, j’en veux au monde entier. Manquait plus que ça. 

Lorsque vient mon tour, je décompense sec. Je hurle (mais genre… vraiment. le lendemain j’aurai mal à la gorge d’ailleurs. Putain de karma). Je lui en veux d’avoir choisi la route la plus raide vu mon état, je m’en veux de m’infliger ça, j’ai juste envie d’arrêter, d’être dans un bain plein de mousse ou avec une Petite Arvine devant un feu de cheminée. Mais pas là, avec des mollets tétanisés, des mains tellement crispées qu’elles n’arrivent plus à tenir un piolet…. Je continue ma litanie, mélange de déversement d’injures, de plaintes et de hurlements. ça a un côté exutoire, mais je me dis que c’est quand même pas normal d’être aussi chiante… et d’en redemander 😉 Pis l’histoire de l’appareil photo me plombe le peu de moral qu’il me restait. 

J’arrive péniblement au relai, Guillaume tire désormais la même tête que moi, maintenant qu’il a fait le calcul des probabilités de retrouver l’appareil photo versus le nombre de souvenirs qu’on ne reverra jamais sur pellicule. 

On prend le chemin qui nous ramène à la voiture et on coupe pour arriver au pied de la cascade et tenter de mettre la main sur ce fameux appareil photo. On y reste plus de 2h, à ratisser le moindre centimètre, à monter, descendre, remonter, et terminer de se flinguer ce qu’il nous reste de mollets (et de moral). 

Guillaume retrouve un bout de l’objectif, mais pas l’appareil. C’est résignés qu’on repart, avec le moral clairement dans les chaussettes… Cela dit, et je ne sais pas si c’est parce que les histoires finissent toujours bien ou si c’est parce que mon karma a encore quelques points en positif, après plein d’annonces sur les réseaux sociaux, une jeune femme m’a contactée 2 jours après. Elle avait retrouvé l’appareil photo au pied de la voie. Et on a pu faire une sauvegarde des photos. (Heureusement parce que Guillaume avait déjà contacté une personne qui loue des détecteurs de métaux et envisageait d’y retourner le lendemain… c’est dire la couche de désespoir !)

Une montagne d’émotions, cette cascade du Pont, qui m’a clairement poussée dans mes retranchements. Heureusement, il y a des photos pour en témoigner ! 

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