Traversée de l’aiguille d’Entrèves

Je m’étais promis de ne plus mettre les pieds dans la région de Chamonix, après avoir eu la mauvaise idée de vouloir prendre la première benne, un lundi fin août, et d’apercevoir plus de 300 personnes en file indienne à 6h15 du matin pour se retrouver entassés dans une benne pour se prendre en selfie à passé 3’000m d’altitude (avec un petit hastag #neverstopexploring). Disneyland à la montagne, non merci.

Je cherche une idée de course à la journée, à faire avec mon cher et tendre, avec un cadre alpin, pas trop long (car on doit être de retour à la maison à 18h) et sans trop de monde. (Comment ça, je suis pénible avec mes critères de sélection ?) Caroline, la super guide avec qui j’étais en longue voie la vieille, me suggère la traversée des Aiguilles d’Entrèves. J’avais vu quelques photos passer sur Instagram, et c’est vrai que ça avait l’air bien joli et pas trop long. Je propose donc l’idée à Guillaume et le lendemain matin nous partons sans nous presser en direction du Tunnel du Mont Blanc.

Première bonne surprise, la benne (toute nouvelle et assez démente puisqu’elle tourne sur elle-même en même temps qu’elle nous emmène à plus de 3000m et qu’elle est chauffée) est presque vide. Hormis quelques asiatiques, pas d’alpiniste en vue ! On longe l’intégrale de Peuterey, c’est quelque-chose… et voir le Mont-Blanc du côté italien, beaucoup plus en caillasse qu’en neige, c’est assez fou et bien sauvage.

Arrivés au sommet de la benne, on descend quelques marches d’escaliers, on passe des barrières avec l’écriteau « danger de mort, crevasses, glacier, matériel d’alpinisme requis » on s’encorde et on met les crampons pour traverser le glacier et nous rendre au pied des aiguilles. Le temps est brumeux, et donne une ambiance austère, surréaliste et magique. Mais on est à passé 3’500m, il ne fait pas chaud, on longe des crevasses qui sont sans fond… et ma technique de mouflage n’est pas vraiment au point. Et il n’y a pas âme qui vive ! Moi qui rêvais de solitude, je suis servie, et pour le coup j’aurais bien été rassurée de voir 2-3 cordées… Bref, je ne fais pas la maligne, et je me demande si on n’aurait pas mieux fait d’aller grimper en t-shirt au Tessin, à la place.

On longe le Grand Capucin, qui joue à cache-cache avec les nuages, la Tour Ronde, que Guillaume a déjà faite, et au bout d’une heure environ nous arrivons au pied de l’arête. Incroyable : il n’y a personne ! Il y a quand même de la neige, tombée quelques jours avant, et nous décidons de laisser nos crampons. Le temps est couvert quand nous entamons la traversée. Guillaume file devant et le début est facile, même s’il faut un moment pour que je m’habitue à progresser en crampons (en fait, la vraie question est : y arriverai-je un jour ?)

Guillaume part en tête sur une première partie toute facile ; toute motivée que je suis à progresser, je lui propose de passer en tête. Si je sais désormais faire ma réserve de corde, c’est une toute autre histoire pour faire les anneaux…

Je vois ensuite le gendarme à escalader… et tout à coup ma confiance et mes petits anneaux, on se dit que bon, être en second et laisser Guillaume aller en tête, c’est bien aussi. (Ben quoi ? J’applique ma devise éternelle du « courage fuyons »). Bien entendu, Guillaume grimpe ce gendarme avec plein d’aisance, il en va tout autrement pour moi. Ces satanés crampons quand même… et puis grimper avec les gants, ce n’est jamais évident, j’ai toujours l’impression d’avoir des prises fuyantes. Il y a une désescalade de ce gendarme, et ce n’est pas le moment le plus fluide et serein de ma vie. Mais ça passe.

La course déroule bien ; on suit l’arête et on va d’un bon pas. Il y a une cheminée qu’on doit passer, avec les sacs, les crampons, et les gants qui glissent, ça reste assez sport. Avec un petit pas de bloc qui me fait regretter de ne pas être plus assidue niveau montagne ! Puis, sous le sommet, nous arrivons au « crux » de la voie. Un départ assez athlétique… Pour Guillaume et son 1m90, c’est tout facile (bon ok, ce n’est pas que grâce à sa taille que c’est tout facile… c’est aussi qu’il est moins mauvais que moi !). En ce qui me concerne, c’est tout de suite moins esthétique ! Sans aucune éthique, je tire sur la sangle en place. Je sais. Je brûlerai en enfer. Mes bras chauffent et je ne suis pas au bout de mes peines, car il y a une désescalade… et comment dire… je suis aussi à l’aise que sur une piste de karting. Cela dit, comme j’ai toujours peur de me prendre un plomb, j’ai souvent la mauvaise manie de trop descendre mes mains mais pas assez mes pieds (qui doivent dire à mon cerveau  «non mais quelle idée de nous emmener ici ?! », et du coup je me retrouve à faire le grand écart et à tester ma souplesse…) Qu’est-ce que je suis mauvaise pour ça ! Je me dis que Guillaume doit bien se marrer en me voyant me coller à ce rocher, aller à tatillon avec mes crampons dans le secret espoir d’y trouver une plateforme invisible… Je me dis aussi que ce genre d’exercice ne doit pas être totalement en adéquation avec les alpinistes mâââles en âge de procréer ; en tout cas, s’ils sont aussi doués que moi pour ces passages, ça doit faire baisser le taux de natalité de quelques années…

Nous arrivons ensuite au sommet des rappels ; on est un peu juste avec notre corde de 50m, et vu la neige tombée, on ne se pose pas la question de si désescalade ou rappel. Une dernière traversée puis de la désescalade facile pour rejoindre le chemin du retour. Guillaume me demande si j’ai rangé mon piolet dans mon sac. Hein ? Quoi ? Ben non il est accroché dehors… heu… non ?

Voilà, Elise dans toute sa splendeur. Un piolet de perdu. C’est fou, je ne l’ai même pas entendu tomber.

Il fait désormais super beau et super chaud. On enlève toutes les couches, on retrousse les manches, on boit du rivella (qui est, en toute objectivité, la meilleure invention de l’univers) et on repart vers la benne. Sauf qu’il faut remonter tout ce qu’on avait descendu à l’approche. Et oui, avec le brouillard, je ne m’étais pas rendue compte, et même si c’est pas bien long ou loin, moi, avec cette chaleur, et ce principe antinomique de « remonter » pour venir au point de départ, ça me scie les pattes. J’ai de la distraction quand on voit sur le glacier un couple en basket Nike et pas encordés qui se promène. Mais oui. C’est joli ces petites crevasses pour faire des selfies. Je me dis vraiment dans ces moments-là qu’il y a quand même peu d’accidents en montagne, quand on voit des choses pareilles.

Au col, un guide me tend mon piolet. Je crois d’abord souffrir d’une hallucination ; après tout je viens de voir un couple en Nike. Mais non. Il a bien mon piolet, qui était tombé à quelques centaines de mètres de la benne (et pour ma défense, il était encore accroché à la sangle. Donc c’est pas complètement de ma faute. Bon ok, il se peut que je ne l’ai pas tout à fait bien accroché… bref). En tout cas, un grand merci au guide, qui a eu la classe de récupérer le piolet, de m’attendre, et de me le redonner !

On arrive à la benne, heureux. C’est vraiment une chance de pouvoir faire ces courses en amoureux. (et de retrouver un piolet). Parce que si ces montagnes sont super belles, ce qui les rend unique, c’est les moments de partage. Et partager cette passion avec ce grand barbu, que je connais maintenant depuis 10 ans, c’est un privilège. Surtout qu’on est parti de rien, avec nos premières randonnées et notre équipement Mammuth… Et que maintenant, même si l’intégrale de Peuterey c’est pas pour tout de suite, on arrive quand même à se débrouiller plutôt bien, à partager du temps en montagne, à se gueuler dessus des fois, à douter un peu aussi parfois en silence, à tirer de temps en temps sur des sangles, mais surtout, à profiter de chacun de ces moments dans nos courses alpines.

 

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