Traversée des Aiguilles Rouges d’Arolla

Je mentirais si je vous disais que cette course était un rêve, une consécration, le truc ultime que je voulais faire dans ma carrière petite vie d’alpiniste. En fait, nous avions planifié une autre course dont je rêve depuis longtemps (laquelle ? ah pour ça il faudra continuer à lire mes billets. Ouais. Je suis comme ça : la reine du teasing). Mais il a neigé 2 jours avant, donc nous avons dû revoir tous nos plans et Jérôme nous propose la traversée des aiguilles rouges.

J’en avais vaguement entendu parlé lorsque nous avions fait l’interminaaaaaaaaaaaaaable pointe de Vouasson à ski, en passant par la cabane des Aiguilles rouges. Je me rappelais d’un panorama d’enfer avec la couronne impériale en toile de fond.

Je suis en petite forme depuis quelques semaines, ce ne sont pas mes cernes et mon souffle court après 3 marches d’escaliers qui diront le contraire…

Mais cette sortie à 4, avec la bonne vieille équipe de cordée (Jérôme, Eric, Guillaume et moi) me réjouit et je me dis, dans un élan euphorique, que ça aura le mérite de me changer les idées.

Nous partons donc sans nous presser avec le tank la voiture d’Eric. Il nous propose d’aller un peu plus haut qu’Arola pour gagner quelques mètres d’approche. Mais quelle bonne idée. Je sais pas, y a un truc, plus on fait de montagne, moins on a envie de marcher. Appelez ça de la faignardise si vous le voulez, en tout cas moi, je suis bien contente de me parquer le plus haut possible et d’économiser mes jambes.

Jérôme et Eric on pensé à tout et installent des piquets autour de la voiture pour que les vaches ne la défoncent pas (c’est apparemment un classique. Peut-être qu’elles mènent une vendetta contre les alpinistes paresseux ?)

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Puis on passe aux choses sérieuses : le pique-nique. Vin rouge, viande séchée, framboises, chips, bref je vous la fais courte, mais on profite allègrement du concept de réconfort avant l’effort.

Et c’est l’estomac bien rempli que nous partons vers la cabane. Elle est à moins de 2h de marche, c’est plus ou moins à plat, tout facile. Bonheur.

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© Eric Gachet

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© Eric Gachet

A la cabane, il y a une trentaine de médecins anglais qui vont faire la pointe Vouasson le lendemain et qui s’entraînent à faire des secours en montagne.

J’en profite pour demander une petite révision du moufflage, technique permettant de récupérer Guillaume au fond d’une crevasse des fois qu’il aurait la mauvaise idée d’y tomber. Bon alors c’est un peu laborieux car il faut plein de manipulations… mais ça a le mérite de me rafraîchir la mémoire. (Guillaume, n’oublie pas un thermos et une bonne doudoune la prochaine fois qu’on est sur un glacier, hein, ça risque de prendre un peu de temps vu ma rapidité dans la technique de moufflage).

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© Eric Gachet

On passe à table, on nous sert une soupe brune-à-je-ne-sais-pas-quoi-et-ne-veux-pas-le-savoir. Et là, le gardien surgit de nulle part avec son appareil photo, et d’un clic accompagné d’un expéditif « c’est pour la photo, pour le blog », il immortalise nos tronches. Je dois dire que je remercie ce gardien pour la photo collector. La tronche de Jérôme est grandiose. On s’imagine plein de choses, à la vue de son expression.

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Les « toilettes » de la cabane sont 30 mètres plus bas. Faut déjà vouloir. Et une fois en bas, après avoir retenu sa respiration le temps de… (ah, le charme des cabanes typiques…), faut remonter, en reprenant son souffle. Bref l’expédition.

La nuit en cabane se passe étonnamment pas trop mal (merci petite pastille chimique d’apaiser mon cerveau et mes nuits !), malgré un froid glacial. Nous n’avons que des couvertures militaires et ça caille sévère.

Réveil à 4h30, petit-dej, et départ vers 5h. Le ciel est dément, on n’a tellement plus l’habitude de voir autant d’étoiles dans le ciel… D’ailleurs Eric s’est couché plus tard pour prendre en photo la voie lactée. Donc quand on a un ciel de malade et un photographe aussi doué, le résultat est juste magique.

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© Eric Gachet

Il faut environ 1h30 à 2h pour arriver en bas de l’arête. D’abord on suit une sorte de chemin puis on met les crampons pour traverser le glacier. La rimaye passe sans problème. On arrive vers une pente plus raide qui nous mène au pied des difficultés. Le rythme est bon, il fait un peu froid, je rajoute ma doudoune. On arrive au pied de la voie au lever du jour. C’est tellement beau.

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© Eric Gachet

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© Eric Gachet

Guillaume et moi nous posons dans un petit recoin épargné par la neige pour enlever nos crampons. Eric immortalise la scène, je dois dire que c’est une de mes photos préférées. Ce type est vraiment, vraiment doué.

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© Eric Gachet

J’ai pas lu grand-chose sur l’arête, si ce n’est qu’elle fait 2km (ah ouais quand même) et a une quinzaine de gendarmes. Bon. On n’est pas rendu ! Mais les conditions pour la journée vont être parfaites et je suis hyper contente d’être là avec ces 3 barbus (enfin… Jérôme a pas tant de barbe… mais bon. Vous voyez quoi.)

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© Eric Gachet

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© Eric Gachet

La première longueur grimpe bien comme il faut, ça a le mérite de chauffer les mollets et les bras. Je laisse les gants car ça caille bien ! Et les suivantes aussi… je ne pensais pas que ça grimperait aussi bien, en fait, mais c’est vraiment du plaisir ! Et en plus, je ne tire pas sur les dégaines. Bon en même temps c’est tellement peu équipé que bon… On arrive au premier sommet, puis on désescalade. Et le sommet principal se dresse devant nous. Un bon gros morceau…

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© Eric Gachet

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© Eric Gachet

Je galère bien dans un passage car mes gants glissent. Je décide de les enlever et ça va mieux. C’est vraiment beau, varié, physique comme il faut. Nous ne sommes que nos 2 cordées dans cette traversée, c’est vraiment tant mieux car il faut quand même bien tester le rocher.

Une fois au sommet principal, il fait bon, on fait une bonne pause. Même si on atteint le point culminant (3’600m et des poussières je crois), on est encore loin du compte ! Et oui, la traversée fait 2 kilomètres et elle se déroule devant nous… C’est donc parti pour des up and down, de la grimpe, des désescalades, des-traversées-sans-les-mains-non-mais-quelle-idée. Au loin, la couronne impériale, avec la Dent Blanche, le Cervin, le Weisshorn… c’est de toute beauté.

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Je prends un énorme plaisir à être là, avec Eric qui me coach comme d’hab’ comme il faut, et Jérôme qui comme d’hab’ raconte des bêtises et autres gags graveleux mais qui nous font tous marrer !

J’ai un petit coup de mou sur la dernière partie. Faut dire qu’il est à peu près midi, qu’on est sur cette arête depuis plusieurs heures et qu’il fait bien chaud ! Guillaume et Jérôme nous attendent au sommet, tel un petit couple, et on les rejoint après les accolades de circonstance. Ça peut faire cul-cul, mais j’adore ces moments, mélange de fierté et de partage.

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Vers 13h, nous entamons la descente. Jérôme nous propose de partir directement dans une sente au lieu de traverser le reste de l’arête. On économise un temps monstrueux. Par contre on se suit de près, car le terrain est vraiment tout pourri, les pierres n’arrêtent pas de tomber. Mais ça déroule bien. Et moi qui suis en général une vraie plaie niveau descente, hé bien là… je me débrouille pas trop mal. Et puis il y a le Cervin juste en face, les bouquetins juste à côté… je n’ai pas à me plaindre !

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Surtout, il y a une pelle araignée qu’on a repérée à la montée, qui était juste sous la cabane, et ça a occupé nos conversations durant toute la montée et toute la descente ! Elle devait aller faire les fondations de la nouvelle cabane, et elle est montée depuis Arolla. Fou ! Bref Guillaume, dont la passion pour les pelles araignées n’a rien de nouveau, est totalement en transe. Alors j’ai droit à toutes les théories/questions/concepts… Nombre de jours pour monter à la cabane, trajectoire choisie, coûts, risques, bref…

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© Eric Gachet

On arrive à la voiture un peu avant 16h, après avoir fait de bonnes pauses. Les piquets sont toujours là, et j’ai la joie de prendre le tank d’Eric pour ramener ces 3 braves alpinistes fatigués galants pour rentrer à la maison.

Le mot de la fin ? Ce fût une belle traversée. Qui n’était pas gagnée vu mon petit moral des dernières semaines. Et puis je vous fais une confidence. A l’heure de l’étalement de la vie sur les réseaux sociaux, de la mise en scène permanente et des hastags à la con, de la course à la performance avec tracé GPS et dénivelés, je me pose pas mal de questions quant à la pertinence de ce blog.

Je n’ai pas envie de devenir ces caricatures qui ne font de la montagne que pour les louanges et la performance.

Surtout, je n’ai pas envie de gaver les gens avec mes théories. Encore moins de me prendre au sérieux. Juste envie, finalement, de garder certains souvenirs et de partager des anecdotes avec vous et mes compagnons de cordée. Ça. Et aussi de vous parler de pelles araignées. On ne parle jamais assez des pelles araignées. Hein, Guillaume ?

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