Island Peak (6189m)

Avril 2012

Ce qu’il y a de bien avec Guillaume, c’est qu’on aime les mêmes choses: les sommets, les voyages, le bon vin et les bonnes bouffes. C’est extrêmement difficile de tout cumuler. Je dis depuis longtemps qu’il devrait y avoir 1 ou 2 restaurants gastronomiques sur des sommets mais je crois qu’au niveau accès ce serait un chouilla compliqué. Nous avons donc décidé de combiner au moins 2 de nos passions: voyage et sommets. La destination était toute trouvée: le Népal.

Restait à trouver un sommet à faire. Je vous le concède, le Népal c’est un peu le supermarché des sommets, il y en a pour tous les goûts, toutes les hauteurs et toutes les bourses…

Nous n’avions que 3 semaines de vacances, ce qui limitait un peu nos choix. L’Everest, qui prend 2 mois, ce sera pour une autre fois. Dommage, on avait pourtant le niveau.

On avait déjà été au Kilimanjaro et ses presque 6000 mètres, nous étions donc bien tentés par un vrai 6000 mètres himalayen. Une course un peu mixte et pas trop difficile techniquement.

Et hop, bingo: l’Island Peak. En plus, le côté « island » donne un petit nom exotique à cette destination. J’imagine que pour les palmiers on repassera, mais je me dis que cette course, si j’arrive au bout, peut être un chouette moment.

Départ donc pour 13 jours d’approche… L’arrivée à Katmandou est… compliquée (avec un stop interminable en Inde pour cause de ratage de correspondance). Le lendemain, départ pour Lukla, et sa piste d’atterrissage la plus dangereuse du monde. Chouette, c’est pas comme si j’avais super peur en avion. Le vol est épique et l’atterrissage ne l’est pas moins… Comment c’est possible d’atterrir sur une si petite piste? Au milieu des montagnes? Non mais franchement ! Enfin bon, ça passe et c’est l’essentiel.

Nous débutons le trekking avec 3 autres françaises bien sympa, un guide népalais et une nuée de sherpas. Leur équipement est plus que sommaire et les charges qu’ils portent sont démesurées. Je suis mal à l’aise de faire ma touriste occidentale avec ses esclaves des temps modernes…

Au bout du 2e jour de marche, nous arrivons à Namche Bazaar, à 3750 mètres. Surnommé le village sherpa, il se dresse comme sorti de nulle part! En se promenant dans ses ruelles, on a l’impression de traverser le St-Tropez des alpinistes. Plein de boutiques avec des (souvent fausses) marques. C’est pratique, si on oublie sa combi pour faire l’Everest, on peut toujours l’acheter là-bas.

Les nuits en lodge se passent bien, même si au début je dors très mal à cause de l’altitude. La nourriture est vraiment top, rien à redire ! On mangerait plus souvent du dalbat, plat national népalais à base de lentilles, riz et curry, mais les touristes occidentaux qui sont passés par là avant nous ont imposé dans la plupart des lodges leurs pâtes bolo et sandwiches club. Et ouais, la mondialisation, c’est pas qu’un concept !

Nous continuons notre route et commençons gentiment à sentir les effets de l’altitude. Le premier col, le Renjo Pass, est atroce pour moi. Déjà parce que j’ai le ventre en vrac (mais vraiment en vrac…) et que monter 1200 mètres de dénivelés à plus de 4000 mètres, ça reste quelque-chose de difficile pour la frêle nature que je peux être. Enfin bon, comme je dis toujours: petit à petit l’oiseau fait son nid, et même si nous arrivons au col exténués et qu’on a zéro vue (satanés nuages), nous sommes contents de passer ce col et de redescendre à des altitudes plus convenables.

La suite du trekking est très belle. Les 8000 mètres nous font la révérence (enfin… c’est plutôt l’inverse en fait), les yaks nous font des clins d’œil (ou pas ; c’est peut-être l’effet de l’altitude), et les paysages sont juste tous plus beaux les uns que les autres. Voir des montagnes si hautes, si près, c’est un peu comme la première fois que vous allez à New-York et que vous voyez des buildings: on en prend plein la vue, et on ne savait pas que ça pouvait exister et être si imposant !

Nous prenons lentement mais sûrement de l’altitude et arrivons au camp de base au bout de 13  jours de marche. Il est à 5000 mètres, je n’ai jamais dormi si haut ! Bien sûr, je flippe, bien sûr, je doute… l’Island Peak est là, tout près, et si tout se passe bien, demain nous serons à plus de 6000 mètres !

La nuit sous tente est assez catastrophique ; une anglaise de la tente d’à côté vomit ses tripes… elle doit avoir le mal des montagnes, et franchement ça ne me rassure pas !

Vers 2 heures, nous commençons notre marche. Je suis derrière le guide et nous marchons très lentement. Avec l’altitude, le souffle est très court. Même pour mettre une chaussette on est essoufflé… Il faut donc accepter cette cadence et essayer de trouver un rythme rapidement. Ce qui, ô miracle, se passe assez rapidement pour moi. Cette lenteur me convient parfaitement. Mais Guillaume derrière souffre et me demande de ralentir d’avantage. Ok, ça ce n’est pas un problème pour moi, je sais faire !

La première partie de la course se fait donc dans la nuit, sur un petit sentier qui monte bien, mais régulièrement. Nous faisons souvent des pauses et je remercie intérieurement l’inventeur du thermos. Le thé chaud, ça réconcilie avec la vie quand même, dans la froideur de la nuit. Le jour se lève lentement et le paysage se dévoile. C’est grandiose.

L’Ama Dablam, la plus belle montagne du monde (ok, égalité avec le Cervin. Ou 2e place. Enfin bon. Magnifique montagne) se dévoile petit à petit et prend des teintes rosées. C’est juste magique. J’ai la pêche et suis vraiment heureuse d’être aussi. Je me rends compte de tout le chemin accompli, de ces 13 jours de marche et de ces milliers de mètres de dénivelés, et ça y est, je suis enfin en train de gravir l’Island Peak. Et même sans palmiers, c’est une sacrée belle course !

Nous arrivons sur un replat de neiges où nous nous cramponnons et encordons. Nous traversons de belles et grosses crevasses et après quelques centaines de mètres, nous arrivons au pied du « mur ».  Ah ça y est on y est !! Le fameux mur qui m’a fait cauchemarder des semaines durant est devant moi : il s’agit d’une paroi de neige et glace (enfin… surtout de glace) de 150 mètres de haut, dernier obstacle avant le sommet. Il est muni de cordes fixes. Mais quand je vois la tronche des cordes!!  Vous savez la ficelle qu’on utilise pour ficeler un poulet ? Ben celle de l’Island peak est pas bien plus épaisse…

C’est flippant, elle est toute usée et il y a au moins 10 personnes qui sont suspendues dessus ! Bon allez Elise, crois en ta bonne étoile, elle a fait du bon boulot jusqu’ici y a pas de raison qu’elle te lâche  (l’étoile, la ficelle à poulet). Munie de mon jumar, j’emboite le pas à Guillaume. J’adore monter ce mur. Même si on ne va pas vite et que ça bouchonne un peu (comme c’est pratique de croiser, je vous raconte même pas !), on a l’impression d’avancer assez bien. C’est sans doute dû à la verticalité  assez impressionnante de la pente, remarque ! Je plante mon piolet, mon crampon, j’avance de 10 centimètres avec mon jumar, et je refais ces 3 mouvements sans trop me poser de questions. L’arête sommitale se rapproche ! Je vois le sommet, youhouhou !!

L’arrivée sur l’arête est un grand moment. Guillaume m’encourage et l’oxygène se fait vraiment rare. Ça devient difficile, et j’essaie d’enchainer 10 pas sans pause, c’est vous dire s’il faut être indulgent  avec soi-même dans ces situations. Le sommet est là, tout proche, Guillaume me coache, c’est mon moment préféré de la course: quand on sait qu’on va y arriver, et qu’on se délecte des derniers mètres…

Et hop, une petite larme, un sommet et Guillaume dans mes bras ! Comme c’est beau de partager ça avec lui. Et de me dire qu’à la force de mes petits mollets et de mon mental, je suis sur mon premier 6000 mètres ! 6189 mètres très exactement.

Je regarde le panorama et là je me rends plus compte que jamais de la chance que j’ai d’être là. Je respire l’odeur du ciel et touche les étoiles… Les 8000 mètres me saluent… c’est incroyable ! A 6000 mètres, il y a des sommets encore plus hauts !

Il n’y a que 2 personnes au sommet, pas de vent, il fait super bon… je me ferais presque une terrasse avec des conditions et une vue pareille!  Mais bon niveau place c’est un peu exigu, je décide donc de manger un balisto et d’entamer la descente.

J’appréhendais la descente en rappel du mur et j’ai raison. Notre guide en connaît autant en alpinisme que moi en comptabilité (mes connaissances en comptabilité se limitent à: actif, passif, résultat sur marchandise. Oui je sais.). Il n’a plus de voix et me laisse me débrouiller. Je lui fais comprendre que j’ai besoin de lui, il se ressaisit un peu et m’aide la moindre. Mais je suis contente d’avoir des notions de grimpe, c’est plus que jamais nécessaire pour ce genre de course !

Juste avant de redescendre la paroi, un type qui veut aller au sommet me déclipe pour faire passer sa dégaine sur la corde, et me reclipe ensuite, comme si de rien était. Sans me demander si c’est ok pour moi et si je suis bien installée. Je l’insulte et me rends compte qu’en montagne, le plus grand danger c’est souvent les autres, et que certains devraient prendre des cours d’alpinisme (et moi des cours de compta, je sais).

La descente est longue, interminable, comme souvent. Il commence à neiger et vers 5400 mètres, nous voyons un sherpa qui nous attend avec un thé au citron. J’en reviens pas! il est sous la neige, impassible… le thé est froid, mais c’est le meilleur de ma vie et je suis super touchée qu’il ait fait tout ce trajet juste pour nous apporter à boire. Nous arrivons au campement à 15 heures et ralongeons encore le chemin du retour jusqu’au lodge, où nous arrivons fatigués à 18heures.

Quelle aventure! 3 jours de marche plus tard, nous voici à Lukla. Nous croisons les trekkeurs qui partent dans les vallées et nous avons hâte de prendre une vraie douche et de retrouver des températures moins froides. Un dernier coup d’œil en arrière. L’Himalaya disparaît inexorablement de notre champ de vision. Me voilà déjà nostalgique d’un voyage épique, qui se mérite, et qui nous met des étoiles plein les yeux et plein le cœur.

 


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