Bishorn (4153m)

Août 2011

Guillaume : Tu voudrais pas faire un 4’000 ?

Moi : Heu… ben… c’est que… tu vois…

Guillaume : On pourrait faire une initiation à l’alpinisme et puis faire un 4000 facile.

Moi : … (ce qui se traduit, pour les personnes non télépathes, par à peu près : « non mais t’es fou ?! J’y arriverai jamais ! J’ai jamais été à plus de 3200 mètres, jamais mis de crampons, c’est à peine si je me souviens de ce à quoi ressemble de la neige. Et puis y a les nuits en cabanes, les ronflements, les doigts engourdis par le froid, les cuisses qui chauffent, le souffle court et tous ces trucs quand même pas franchement rigolos… un 4000 t’es sûr ?? »)

Guillaume : mais un facile. Il y a le Bishorn, il s’appelle le 4000 des dames. C’est coté facile.

Bam. Le coup de la cotation et le côté «si les dames peuvent y aller avec leurs robes et leurs ombrelles… » m’ont convaincue !

Quelques randonnées en cabanes de montagne pour nous faire un peu la caisse. Au détour de l’une d’elle (Valsorey, où nous reviendrons une année plus tard pour le Grand-Combin), nous croisons Olivier, avec qui le contact passe bien et à qui nous proposons le Bishorn. Son premier 4000 à lui aussi.

Bien sûr je fais ma Elise et je flippe. Je n’ai jamais été si haut, ni fait de course en montagne. Même si c’est coté facile, ça reste un 4000, avec un dénivelé pas négligeable. Et j’appréhende la nuit en cabane.

Pour aller au Bishorn, vous devez dormir à Tracuit. La montée jusqu’à la cabane est conséquente mais jolie. Ça chauffe les mollets, on atteint rapidement la moraine et la vue est magnifique. Mais l’arrivée à la cabane, c’est une autre histoire ! Parce que la cabane de Tracuit, c’est un peu comme Ikea le samedi. Bondé de monde. (vive les courses populaires…). Et vétuste.

En montant à la cabane, notre guide Jérôme nous raconte l’histoire d’une de ses clientes, Gervaise, qui s’est mise à l’alpinisme après un burn-out. La montagne a été pour elle une vraie thérapie et depuis son palmarès des 4’000 est impressionnant. Je suis admirative face à un tel parcours et une telle volonté. Le hasard fait que nous la rencontrons à Tracuit ; elle va également faire le Bishorn le lendemain matin avec ses collègues, en guise de course de préparation avant le Mont-Blanc.

Plus tard, je lirai son bouquin (Carnet de route…s), où elle décrit ses courses et ses états d’âme. Incroyable comme cette femme sourit à la vie. Elle est pour moi un modèle. Une femme partie de rien qui, à force de volonté, gravit la plupart des 4000.

Mais revenons à la réalité. La nuit en cabane est atroce, j’ai l’impression d’être une sardine dans une boîte de conserve minuscule avec plein d’autres sardines qui ronflent méchamment (je sais, ma métaphore est toute pourrie. Mais vous pigez l’ambiance !). Je ne ferme bien entendu pas l’œil.

C’est la première course que nous faisons avec Jérôme. Tout de suite il nous met à l’aise, son attitude est pro mais en même temps très déconne.

Au petit matin, je remplis mon camelbag (vous savez ces gourdes reliées à un tube en plastic que les trekkeurs de l’extrême affectionnent particulièrement). Je n’arrive rien à avaler (je le regretterai rapidement). On s’encorde (ou plutôt : Jérôme nous encorde ; nous on ne sait même pas ce que c’est un nœud de 8). Je mets mes guêtres à l’envers, je les remets à l’endroit mais j’oublie de mettre mes chaussures avant. Bref, je suis un vrai boulet.

La cabane est bondée, tout le monde est au taquet et j’apprécie moyennement. J’ai presque hâte de me mettre en route.

Après quelques mètres, on chausse les crampons. La nuit est calme, c’est un sentiment étrange que de marcher en montagne au milieu de la nuit.

Rapidement, je sens que mon bas du dos est humide. Etrange, je transpire tant que ça ? C’est peut-être la glace sur laquelle je me suis assise en mettant mes crampons…

Je continue de marcher. Après tout avec mon camelbag, je suis une alpiniste de l’extrême ! J’ai le look et je n’ai même pas besoin de m’arrêter pour boire. Hop, je dégaine le tube en plastic, aspire un grand coup et… et rien ! Pas une goutte d’eau.

Et merde. Le camelbag s’est vidé dans mon sac. Ça fait une demi-heure qu’on marche, j’ai les fesses trempes et le bas du dos glacé.

Jérôme me propose que je noue sur mes hanches un vieux pull qu’il a ramassé à la cabane, mais je fais ma fière (ou ma résignée. Question de point de vue).

Nous longeons quelques belles et impressionnantes crevasses. Je n’en ai jamais vues auparavant et leur profondeur me file le vertige !

On amorce la pente et je sens assez vite que je peine. J’ai vraiment froid avec cette histoire de dos trempé et ça me prend pas mal d’énergie. J’ai de la peine à suivre le rythme de Jérôme et demande plusieurs fois des pauses. En plus j’ai des fringales, puisque je suis partie le ventre vide… Et oui, on est tous à un moment donné de sa vie le boulet de quelqu’un d’autre, et là c’est mon tour…

En plus, on a prévu de faire la Dent Blanche dans 3 semaines. Je me dis que si je galère déjà sur une course de neige aussi facile que celle-là, qu’est-ce que ça va être là-bas !

Jérôme me coach et m’encourage aussi bien qu’il le peut. Je regarde mes pieds et essaie de prendre sur moi. Même si on va lentement, on dépasse plein de cordées… Il y a vraiment de tout sur cette montagne ! Du coup, même si ma performance est médiocre, elle est pas si pire ! Au lever du jour, quand le froid est à son comble, je demande à Jérôme le pull. Je le noue sur ma taille et ça me protège tout de suite du vent et du froid. Quelle cruche, j’aurais dû faire ça plus tôt !

La dernière montée me motive à me surpasser. On y est presque !! Et puis… voilà, c’est le sommet ! Les gens qui sont déjà là nous félicitent, Jérôme aussi, je suis fière et heureuse d’être au sommet de ce Bishorn. En face de nous, le Weisshorn se dresse, fier et magnifique. Quelle impressionnante montagne. Je me sens petite, et en même temps j’ai envie de croire qu’un jour je serai au sommet du ce géant. Il m’appelle, m’attire.

On croise au sommet un alpiniste avec LE bonnet crédit suisse. Un vrai bonnet collector ! Aussi mythique qu’improbable…En plus, on en parlait la veille avec Jérôme, qui possède le bonnet Ovomaltine, mais pas le crédit suisse. Ni une ni deux, il propose à l’alpiniste d’échanger leurs bonnets. Quel veinard. Un jour, je le lui volerai je crois.

La descente se fait rapidement. On peut se laisser un peu glisser dans la neige et on avale les dénivelés sans s’en apercevoir.

A la cabane, nous faisons une bonne pause ; Olivier, qui n’a pas peiné durant la montée et qui m’a vu souffrir, me lance un « ça va être dur pour toi, là-haut sur la Dent Blanche ». Ce n’était sans doute pas le but de ses propos, mais ses paroles me font mal et en même temps je suis d’accord avec lui. Je doute plus que jamais de moi. Mais Jérôme me rassure en me disant que la Dent Blanche est une course mixte, avec du rocher, et que l’effort est complètement différent. Que je vais y arriver.

Ça me touche qu’il croit en moi. Allez, je vais essayer de faire de même. Et sans camelbag, cette fois !

 

 

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