Traversée des Lyskamm

L’été 2014 est toujours aussi instable… beaucoup de neige en altitude, et par conséquent les arêtes rocheuses se font un peu oublier au profit des courses en neige et glace.

Sortie prévue de longue date avec Eric, il me propose la traversée des Lyskamm, mythique traversée à plus de 4000m sur une arête hyper effilée.

Cool ! Cette course figure justement sur la liste de courses qu’Elise et moi aimerions faire… Mais malheureusement cette année ce sera sans elle…

Départ pour Zermatt et le Petit Cervin d’où nous prévoyons de rejoindre le refuge Quintino Sella en faisant au préalable l’ascension du Castor (4228m). Autre 4000 que je n’ai pas encore gravi.

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Ca commence par la longue traversée du plateau du Breithorn que nous avions déjà faite une année auparavant lors de la traversée des Breithorn avec Elise. Par contre cette fois-ci le temps est beaucoup moins radieux, ça commence même à sérieusement se boucher, au point qu’arrivés au pied du Castor, on n’y voit plus grand chose.

On se demande même quelques instants si on fait bien de continuer ou pas. En plus de ça, la neige commence à tomber….

On attaque malgré tout la pente raide du Castor en essayant de ne perdre la trace. On franchit la rimaye qui nous sépare de l’arête sommitale bien effilée que nous remontons pour atteindre le sommet.

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Malheureusement c’est jour blanc, on ne voit tout simplement rien d’autre que nous-mêmes. Du coup, pas la peine de s’y attarder plus longtemps que ça, on entame quasi directement notre descente vers l’autre versant par l’arête en direction du Felikjoch (4061m) qui passe par quelques passages assez raides demandant une grande prudence.

La suite consiste en une douce descente jusqu’au refuge. La visibilité ne s’est pas vraiment améliorée depuis, et il est de plus en plus difficile de suivre les traces. Le refuge n’est pas censé être loin, mais avec cette façon d’avancer à l’aveugle ça fausse un peu tout, au point que j’ai la sale impression qu’on descend trop, voire même qu’on s’excentre…

Heureusement, les traces s’intensifient et on commence à deviner à ce qui s’apparente être le toit d’une cabane… Ouf, ça tombe assez bien car je commence aussi à avoir mal à un pied, comme une sorte de cloque.

Il faut savoir que lors de mes sorties en montagne, j’applique systématiquement du « tape » autour de mes orteils et derrière mes talons pour éviter un maximum les effets de frottements avec la chaussure.

En règle générale, ces tapes tiennent le temps d’une course de 2 jours, mais là après une bonne demi-journée, c’est comme s’ils étaient déjà décollés.

Une fois arrivé à la cabane, je m’empresse de retirer chaussures et chaussettes pour constater les dégâts; résultat : le tape est toujours en place, mais en le retirant je constate une belle cloque au niveau du talon droit… et le gauche est aussi assez sensible.

Heureusement Eric a quelques Compeed en stock et bouts de tape pour que je puisse rafistoler quelque-chose pour le lendemain.

Mais ça me rassure pas complètement, même avec ça, mon pied risque bien de me faire souffrir. Et c’est pas comme si demain était une très longue journée et qu’on allait traverser une des arêtes les plus effilées des Alpes où le moindre faux pas est tout simplement interdit…

Le truc qui anéantit définitivement ma confiance c’est au moment où un autre guide demande à Eric ce qu’on prévoit de faire le lendemain (type de conversation classique en cabanes) En entendant notre projet de traversée puis de descente jusqu’à l’arrêt de train Rotenboden en passant par la cabane du Mont Rose la même journée, il nous sort un spontanée « Ben vous, vous êtes motivés à marcher ! »

Eh merde…

En effet, la plupart des cordées effectuant la traversée des Lyskamm redescendent soit du côté italien soit en poursuivant vers la cabane Margarita pour enchaîner avec la Pointe Dufour.

En plus, s’ajoute à ça la peur de rater le dernier train, qui nous ferait rallonger une descente déjà interminable… Bref. Je ne suis pas des plus sereins. Et mes pieds tout plein de cloques non plus.

Mais bon au bout d’un moment ça ne sert plus à rien de s’inquiéter, on verra bien demain et qui sait la nuit sera peut-être réparatrice. On aimerait bien partir plus tôt que le réveil habituel à 4h du matin, mais en même temps ça servira à rien d’arriver sur l’arête de nuit…

La nuit est plutôt bonne au niveau du sommeil, par contre au réveil, j’attends le tout dernier moment pour enfiler mes chaussures… comme si chaque minute allait compter… Je sens que les cloques sont toujours bien sensibles, mais le tape les protège relativement bien. Je prends soins de bien serrer mes chaussures pour éviter tout frottement.

Au départ de la cabane, on commence par remonter la pente qu’on a descendu dans le brouillard hier après-midi, elle est pas raide, du coup c’est l’idéal pour se mettre dans le rythme et se réveiller en douceur.

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Jusque là tout se passe bien, je sens quasi rien. Au moment du lever du jour nous sommes au col, où il souffle un fort vent froid. La vue et la lumière à ce moment sont juste magnifiques. On en profite pour faire une petite pause malgré le froid.

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Après avoir passé une première arête assez effilée, on attaque une pente assez raide qui mène au premier sommet à 4479m. Le neige est dure, il continue de souffler et le froid est mordant…au point que je dois même m’arrêter pour faire passer une méchante débattue aux mains, le genre de débattue tellement douloureuse qu’elle te coupe la respiration et t’empêche de penser à autre chose (enfin bon, c’est le propre de ces satanées débattues, en fait…)

Malgré tout ça, on avance à un bon rythme et une fois sortie de cette pente, on rejoint le premier sommet qui est aussi synonyme des premiers rayons de soleil.

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La vue à partir de là est impressionnante, je découvre l’intégralité de la traversée. Ca a l’air long et étroit, mais magnifique. J’ai hâte.

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Copyright Eric Gachet Photographie

 

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Copyright Eric Gachet Photographie

 

Par contre à partir de ce moment-là, aucun droit à l’erreur, je suis plus que jamais concentré sur le placement de mes pieds.

J’ai souvent une vision récurrente quand il s’agit de parcourir une arête effilée, je me vois souvent faire l’erreur de me prendre les crampons dans le pantalon et du coup perdre l’équilibre et passer dans le vide. Ca doit être une de ces pensées assurance-vie qui te rappelle les bases. Je m’applique donc à chacune de mes enjambées.

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Copyright Eric Gachet Photographie

 

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La dernière partie consiste à remonter une plus large arête jusqu’au point culminant à 4527m. A ce moment là, l’altitude commence à se faire sentir, mes jambes deviennent bien lourdes et le souffle de plus en plus court…

Je pense au nombre de fois où j’ai lu qu’il fallait arriver bien acclimaté pour cette course étant donné qu’elle se passe un bon bout de temps à plus de 4000m…

Comme souvent c’est pas vraiment mon cas…. Mais en même temps j’ai jamais souffert de symptômes du mal aigu des montagnes. C’est juste plus dur physiquement. Mais ça fait aussi le charme de ses courses en altitude (on dira ça comme ça!).

Après un dernier effort, on arrive au 2ème sommet. Magnifique ! On contemple derrière nous l’entièreté de la traversée, c’est vraiment classe !

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Malheureusement, on n’est qu’à la moitié de la course, reste maintenant l’interminable descente que l’on voit entièrement depuis le sommet… avec au passage la longue et dangereuse traversée du glacier très crevassé du Grenzgletscher.

Bref, une chose après l’autre, la première partie de la descente n’a pas l’air commode, c’est bien raide et assez corniché. A nouveau, il faut rester bien concentré.

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Une fois arrivée en bas de l’arête et finalement à la fin des difficultés, on en profite pour faire une bonne pause et enfin apprécier le paysage. Il est un peu moins de 10h.

A ce moment-là, je ne suis pas pressé de repartir en sachant qu’il faut tout d’abord remonter une faible pente pour basculer sur le Grenzgletscher. Rien de plus détestable que de remonter après une descente.

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La première partie du glacier est sous la constante menace de chutes d’énormes séracs, nous passons donc au plus vite, surtout qu’il commence à faire de plus en plus chaud.

D’ailleurs, à plusieurs reprises nous nous enfonçons jusqu’aux genoux, ralentissant passablement le rythme mais aussi fatiguant énormément les jambes. Surtout tous ces efforts rendent mes cloques très douloureuses. Si à la montée, mes pieds n’ont pas été une torture, il semblerait que la descente soit une autre affaire… je serre les dents et continue de descendre, un pas après l’autre…

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Le Lyskam

 

Vers la partie basse du glacier, nous croisons 2 gars qui le remontent, alors qu’il est déjà plus de midi et la neige devient de plus en plus molle… en plus de ça, ils ne sont pas encordés…

Plus bas encore, on croise un mec seul avec des chaussures de rando sur lesquels il a fixé des crampons. Le touriste ultime. Eric essaie de le dissuader de continuer, mais il ne veut rien entendre et continue… Il tient apparemment pas beaucoup à la vie…

Tant pis pour lui, on continue à descendre en zigzaguant à travers les énormes crevasses…

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Enfin nous arrivons en bas du glacier où la cabane du Mont Rose n’est plus qu’à quelques minutes. Mes talons sont en feu et me font un mal de chien… je sens bien que désormais c’est à vif. Et le moment où je vais devoir affronter mon destin et voir l’état de mes talons se rapproche.

Les difficultés sont peut-être derrière moi, mais c’est pourtant loin d’être fini au niveau de la distance. La « descente » est encore longue… enfin devrais-je plutôt dire le « retour » car après avoir traversé le glacier, il faut remonter la moraine puis suivre un interminable sentier jusqu’à l’arrêt du train.

Un shot de Rivella et un nouveau bandage et c’est reparti…

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Après les quelques lacets de sentiers sous la cabane, nous rejoignons la partie basse du glacier, un vrai labyrinthe de glace! Nous perdons pas mal de temps à zigzaguer entre les ruissellements et les crevasses.

Une fois arrivés à la moraine et remontés au niveau des échelles, on croise une sorte de fantôme, un mec qui semble complètement déshydraté et épuisé comme s’il revenait d’un séjour à 8000m.

Il tente de nous suivre un moment, mais semble constamment à la recherche de quelqu’un en regardant autour de lui.

D’ailleurs quelques instants plus tard on aperçoit en bas du glacier un autre gars seul qui théoriquement n’a rien à faire là-bas… sans doute son compagnon de cordée encore plus perdu que lui.

Nous voici désormais sur le long sentier remontant vers le train…Il s’apparente pour moi à un véritable chemin de croix tellement mes pieds me font souffrir… A ce moment là, je repense à une phrase de Mike Horn qu’Elise se répète souvent « Chaque pas te rapproche un peu plus de ta maison », ça n’a jamais été aussi vrai. J’arrive malgré tout à mettre mon cerveau sur OFF et avancer aussi vite que possible.

Finalement nous arrivons à la gare. Enfin! On peut s’assoir, arrêter de marcher et laisser un peu de répit à mes pieds! Mais la libération totale vient au moment où on arrive à la voiture. Le moment béni des dieux où tu enlèves tes chaussures pour enfiler tes tongues. (le même genre de moment orgasmique où tu bois ta première gorgée de Rivella après un sommet et une descente interminable…). Bref, j’enlève ces chaussures, qui, pour le coup, auront fait leur dernière sortie!

Jamais je n’aurais été aussi content de mettre des tongues…

Cette traversée a été grandiose et épique, encore plus du fait que j’y ai laissé ma peau… des pieds.

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