Le Cervin (4478m)

Il y a une année jour pour jour, le 6 août 2011, Guillaume et moi faisions un cours d’initiation à l’alpinisme. En bonne Elise que je suis, je flippais, me demandais si j’allais y arriver et faisais tous les scénarios possibles dans ma tête. Il y en a un pourtant qui m’a échappé (d’ailleurs, c’est toujours un peu comme ça, quand on se fait des films, on n’imagine jamais le bon !) : j’allais adorer ça et j’en redemanderais. Chausser des crampons, se servir d’un piolet, mettre un baudrier ou s’encorder : je découvrais un autre monde. La petite course sur rocher qui s’en est suivie a été une révélation. C’était chouette, varié, et j’arrivais même à maîtriser ma peur du vide.

Une année plus tard, à la même date, si vous m’aviez dit que je ferais le Cervin, j’aurais bien rigolé et je vous aurais peut-être même mis une petite tape sur l’épaule, façon américaine polie de dire « heu ouais on est pote mais te fous pas de moi ».

Et pourtant.

Le Cervin, comme toute bonne Suissesse, c’est un peu la montagne. C’est même plus que ça. C’est un symbole, un roc, un caillou énorme, fièrement dressé, bref le Cervin c’est un mythe à lui tout seul. Glisser cette montagne dans ma wish-list me semblait prétention et beaucoup trop ambitieux. Mais quand vous avez un chéri et des guides qui croient en vous, on a envie de croire qu’à cœur vaillant, rien d’impossible !

Les conditions pour la semaine s’annonçaient mitigées (quand la présentatrice météo prononce ce mot, comprenez « il va faire pourri mais bon l’espoir fait vivre »). Ce n’était pas gagné… Et puis bon, Eric, notre guide, lance le mot magique : fenêtre météo. Et oui, nous allons le tenter, les orages ne sont prévus qu’en fin de journée et comme on est sensé tenir les horaires on devrait pouvoir faire ce Cervin.

Faire le Cervin. Imaginez l’angoisse dès que j’ai compris que ça y est, cette fois, dans 24heures on enfilait les grosses et gaz !

Depuis Zermatt, la montée à la cabane est toute tranquille. Vive les télécabines et autres installations hi-tech qui nous font économiser de précieux dénivelés. Je sais pas comment ils faisaient à l’époque, à la force du molet et avec des piolets lourds comme des porte-avions. Enfin bref. Départ de Schwarzee à pied, environ 2heures de montée par un joli chemin. Beaucoup de monde sur ce sentier pour admirer le Cervin. La cabane, Hornlihütte, nous observe depuis là-haut, et quand on arrive sur sa terrasse, le Cervin se dresse, plus imposant que jamais. Sacré caillou…

Eric et Jérôme nous expliquent que cette course est assez longue et qu’on se perd facilement sur le Cervin. Ils partent faire un tour de reconnaissance et reviennent pour le souper. La cabane est plutôt bien remplie, mais la plupart des gens se contentent d’y passer la nuit et de redescendre le lendemain matin. N’empêche, il va falloir gazer dès le départ, afin d’éviter d’être derrière une cordée trop lente ou trop maladroite. Les chutes de pierre sur le Cervin, c’est un peu comme les bobs beiges chez les asiatiques : inévitables.

A 20h30, 2 cordées arrivent à la cabane, épuisées. Ah ben ça c’est rassurant… 20h30… et ça n’a pas l’air d’être des alpinistes amateurs. Enfin bon. Allez on reste positif, et on essaiera de ne pas trop trainer les pieds demain…

La nuit en cabane, comme d’habitude, est interminable et je ne ferme pas l’œil. Le plancher craque et la porte grince, ce qui fait qu’à chaque fois que quelqu’un va aux toilettes, c’est un peu comme si un orchestre de chambre jouait à 2cm de mes oreilles. Les Japonnais mettent le réveil 40 minutes avant le petit-déjeuner et font un bruit d’enfer. Ils ont toujours des tonnes de sacs en plastique dans lesquels ils empaquent leur vie et ce bruit est assez insupportable.

Petit-dej pris à la va-vite, entre une morce de tartine et une golée de thé. Hop ni une ni deux, on s’encorde et on est prêt pour le départ. En temps normal, lorsque la cabane est pleine et que les guides de Zermatt sont nombreux, la cabane est fermée de l’intérieur pour laisser les guides locaux partir en premier. Comme il n’y en a pas aujourd’hui, la porte est ouverte et la plupart des cordées sont déjà devant. Il est 3h50, et nous commençons à marcher. Après quelques mètres d’un sentier, les choses sérieuses débutent. Et débutent sans rigoler. On se retrouve vite à escalader de grosses pierres, et dans ces conditions il m’est très difficile de trouver un rythme. (je peux dire impossible ou c’est trop pessimiste ?).

Mon souffle est court et j’essaie de ne pas me concentrer sur cette douleur. J’ai chaud, mes muscles sont endoloris… les début, ce n’est jamais une partie de plaisir, mais alors là ! Pfiouh !

Par contre, il n’y a pas de vent, il fait bon et ça c’est vraiment encourageant. J’essaie de me dire d’y aller pas à pas. Petit à petit l’oiseau fait son nid, il paraît ! Je reste focalisée sur les chaussures de Jérôme, le guide à qui je suis encordée. Des allemands nous dépassent, se perdent (un vrai labyrinthe ce Cervin) et font tomber des pierres. On flippe, eux aussi, ils reviennent vers nous et ne nous quitteront plus jusqu’au sommet. Ben ouais, on a les meilleurs guides, et les meilleurs guides ne se perdent pas !

Nous croisons des personnes qui redescendent. 3 japonnais qui ont dormi à Solvay et qui ne sont pas encordés. Incroyable, affligeant. L’un d’eux est très mal pris, Eric nous dit « vous fermez les yeux s’il se fout en bas » . Gloups. Finalement, il se sortira de ce mauvais pas, mais continuera la descente sans s’encorder. Nous croisons également des italiens, qui eux aussi ont dormi à Solvay et qui descendent sans corde. Mais ils ont tous perdu la tête ou quoi ! Pas étonnant qu’il y ait autant d’accidents en montagne quand on voit le tempérament de certains… mais ça c’est une autre histoire !

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Au bout de 3heures, nous arrivons à Solvay, refuge dressé à 4000m d’altitude. Les couleurs sont maginifique, il faut juste faire abstraction de l’odeur d’urine qui entoure ce refuge. J’aimerais vraiment pas y passer la nuit et « refuge de secours » prend tout son sens ici… c’est vraiment pour les alpinistes au bout du rouleau ou qui se sont égarés ; mais apparemment, ces 2 catégories sont légion courante sur cette montagne !

Le sommet n’a pas l’air si loin mais ça c’est totalement faux ! Il reste encore plusieurs heures, des cordes fixes et des mouvements pas toujours facile à faire avant d’arriver au sommet ! Heureuse d’avoir progressé en grimpe et d’être souple, je me concentre sur chacun de mes mouvements et j’essaie de garder le moral. Tout est une question de mental en montagne…

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Un passage très délicat avec cordes fixes me scie les muscles des bras. Je suis mal prise, presque suspendue dans le vide et je me retiens avec les bras ! ça sent les courbatures à plein nez. Plusieurs mouvements m’épuisent et je sens que mes bras me lâchent. C’est pas le moment, parce qu’il en reste des dénivelés à monter à la force des bras et des mollets !

Derrière moi, les allemands. Je profite que Jérôme ouvre la voie pour leur parler un peu. Ils avaient prévu de faire la course le lendemain mais en raison des risques d’orages, ils ont changé le programme et sont partis de Zermatt à 23h, avant d’arriver à la cabane à 3h pour commencer l’ascension. Ah ouais quand même. Sacrément motivés ces allemands !

Guillaume et Eric passent devant et moi j’avance très lentement, mais j’avance ! à 10h, nous arrivons au sommet. Guillaume y est déjà. J’ai le cœur qui palpite et pas seulement parce qu’on est en altitude et qu’on est au sommet du Cervin (ça je réalise toujours pas !). Je suis remplie d’émotion car j’ai un plan secret : demander la main de Guillaume au sommet de cette montagne mythique. Bien sûr, ça allait dépendre d’un tas de facteurs : météo, monde au sommet, mon état, et là toutes les conditions étaient réunies : j’allais pouvoir lui demander sa main ! J’avais prévu un petit dessin avec un texte que j’avais rangé dans ma poche. Au moment de lui donner ceci, je vois une banderole attachée à la statut du sommet. Guillaume qui me demande de l’épouser ! Alors ça !! Les grands esprits se rencontrent !!

Moment bien sûr indescriptible, mais nous restons tout de même concentrés, car nous n’avons fait que la moitié de la course, et la descente va être longue. Nous ne pouvons pas traîner car les orages sont annoncés pour la fin de la journée.

Départ donc, la cabane nous paraît si lointaine… Mais on enchaîne les rappels et on va d’un très bon rythme, on dépasse pas mal de monde et c’est enccourageant de voir qu’on avance vite, que nos jambes tiennent le coup et que le moral est bon ! Nous arrivons rapidement à Solvay, petite pause ovomaltine et eau, et nous continuons. Comme dit ce bon vieux Mike Horn : chaque pas te rapproche de ta maison. IL ne croit pas si bien dire !

A 15h30, nous arrivons à la cabane. Epuisés et heureux. C’est un moment très fort en émotion pour moi, je relâche la pression, réalise tout ce qui vient d’arriver. Je serre Eric et Jérôme dans mes bras, je suis heureuse d’avoir partagé cette aventure avec eux. Et je suis aux anges, parce que j’ai pu faire ce sommet avec celui que j’aime.

Plusieurs cordées ne sont pas encore à la cabane, d’autres, épuisées, décident de passer la nuit ici. Nous avions prévu de prendre les vélos jusqu’à Schwarzee car les télécabines ferment tôt. Bien nous en a pris. La descente à vélo jusqu’à Zermatt est un vrai moment de bonheur, malgré les trombes d’eau qui s’abattent sur nous ! Ben ouais, météo mitigée, ça dit bien ce que ça veut dire, et l’orage on devait bien se le prendre ! Mais mieux vaut ici que sur le Cervin…

Cette montagne, qui est partout, qui est mythique, le sera encore plus pour moi. Le Cervin n’est pas une course facile. Il demande de la volonté, de l’endurance et bien sûr beaucoup de modestie. Mais il m’a accueilli, avec ses plus belles couleurs, et je le remercie. Une fois n’est pas coutume, je vais terminer ce billet par une note positive et de circonstance : la vie est belle.

 

 

 

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