Arête Vierge

Franchement: ce serait un crime de ne pas profiter de la montagne avec une météo de fin septembre aussi incroyable! Guillaume me propose l’arête vierge; une belle (et longue!) arête de 2km entre le canton du Vaud et du Valais… Nos amis Emilie et JD l’ont faite et ça nous a bien donné envie. J’ai quelques doutes sur mes capacités, car je sais que les arêtes ça a vite une tendance à l’explosage d’horaire et que c’est assez engagé, mais ça me tente bien d’essayer de la faire en amoureux.

On a fait pas mal de courses d’arêtes avec Guillaume cet été, entre le Wiwanihorn, Tsalion, la traversée des Gast… et on se débrouille plutôt bien (en gros : on a jamais fini de nuit, pour le moment !). On arrive à prendre congé et à caser le fiston : bref, il semblerait que les astres soient alignés pour cette sortie !

Il y a quelques années, un puriste (ou un blaireau, tout est une question de point de vue) a dû prendre au pied de la lettre la notion d’arête « vierge » et l’a déséquipée. Pis, bon, quelques années plus tard, elle a été partiellement rééquipée. On s’entend : les passages qui grimpent ont des spits, et il y a des anneaux de rappel (ouais… enfin…. Si on les trouve hein… je spoile un peu la suite !), mais la plupart du temps c’est effectivement assez vierge au niveau du matériel en place !

Départ donc du Pont de Nant dans l’après-midi. Il fait assez bon, relativement frais et pour la montée qui s’annonce je suis bien contente de ne pas affronter les chaleurs d’août. Les couleurs sont démentes, et ça fait du bien d’être en montagne.

La montée à la cabane du Plan Névé est longue. Enfin… 3h selon les panneaux, je m’attendais à bien plus court. En vrai, c’est plus 2h-2h30, mais ça reste quand même long et ça monte tout du long ! Guillaume fait sa fusée et me sème à mi-parcours. Heureusement, un type me rattrape et va à la cabane. Il s’appelle Fabrice et me tient compagnie pour la dernière partie ; on cause et ça passe plus vite !

On arrive à la si jolie cabane de Plan Névé, et l’arête vierge la surplombe. Wow. Sacrée belle, mais surtout sacrée longue arête !! On va vraiment traverser tout ça demain ??

Au total, nous serons 4 personnes à dormir à la cabane, chaleureusement accueillis par Hadrien, le gardien. Ce type me réconcilie presque avec les cabanes. Tellement sympa et accueillant! Petit apéro avec charcuterie, bière, puis spaghettis carbo et enfin une petite compote tiède de pruneaux. Non mais cette classe. Avec un coucher de soleil de dingue sur le Léman, évidemment.

En général, dans les cabanes, chaque « groupe » ou cordée reste entre eux, là on se met tous à la même table, et c’est un vrai bonheur que de discuter avec ces gens. On est 5 au total avec le gardien et j’ai l’impression de les connaître depuis toujours. On refait le monde avec Hadrien, Jeanne, son chéri, Fabrice et Guillaume. On parle parapente, condor, montagne, architecture, économie, tango… le temps file (les digestifs n’y sont sans doute pas pour rien) et Guillaume et moi nous faisons violence pour aller nous coucher à 22h30, car nous nous levons à 5h le lendemain.

Comme on se lève tôt Adrien nous propose la chambre, composée de 6 lits. La méga classe, une chambre rien que pour nous ! Bon, ça ne m’empêche pas pour autant de quasi pas dormir, mais je me repose bien et c’est l’essentiel…

À 5h le réveil sonne, et c’est toujours un moment redouté. Non mais quelle idée de faire de l’alpinisme ! On pourrait continuer à dormir, pourquoi s’infliger ça ? C’est sur un concert de soupirs qu’on se lève et qu’on se prépare. On se force à avaler 1 tartine ; je redoute la sortie de la cabane et le froid de l’automne…. Mais au final, il ne fait pas trop froid, la lune est quasi pleine, le glacier (enfin… ce qu’il en reste) nous éclaire, le ciel est tout étoilé. Bref, il y a pire !

Je n’aime pas les approches et redoute la montée au col du Pacheu. On suit d’abord un chemin tout facile à trouver, puis nous mettons les crampons et la corde au début du glacier. Ça commence à monter sec et je me dis que décidément, mon souffle et moi, ce n’est pas une grande histoire d’amour. Mais bon j’avance tant bien que mal, en me cassant à peu près le dos à force d’empoigner les chaînes qui remontent le col. Mais elles ont l’avantage de nous montrer le chemin.

Nous arrivons au col au lever du jour. Les couleurs sont sublimes (je sais, je me répète !), c’est un dégradé de mauve, avec la lune qui continue de nous surplomber. C’est calme. On est seul au monde. Si beau. Tout semble si fragile, j’adore ces moments-là. Je redoute le vent une fois arrivés sur l’arête, mais à ma grande surprise il fait bon. C’est donc parti pour une longue journée… J’appréhende un peu (moi ? Angoissée ? C’est nouveau ça !) car je sais que la course est longue et engagée, et qu’il n’y a pas d’échappatoire. Je sais aussi que je devrai prendre sur moi, car je ne suis pas avec un guide, mais avec Guillaume, et qu’il compte sur moi pour que je ne décompense pas tous les 2 mètres et que je l’aide à trouver l’itinéraire ! On assiste à un lever de soleil d’anthologie; l’arête vierge accueille les premiers rayons de soleil et les lumières sont sublimes…

Bon alors vous connaissez mon approximation quand il s’agit de détailler un topo. C’est catastrophique. Alors sur une arête aussi longue, qui comporte des parties grimpantes, des désescalades, des rappels, des rasoirs, et ceci démultiplié presque à l’infini…. Bref, vous serez indulgents sur mon récit, hein !

Le début se grimpe bien. Mais dès les premiers mètres, on comprend qu’il faudra tester chaque prise sur cette arête… Et je suis bien heureuse finalement de ne pas voir d’autres cordées, au vu des cailloux qui se décrochent sous nos pas! Pour ne pas exploser l’horaire (notre plus grande crainte), on avance un max en corde tendue. On vise 5h pour la traversée… c’est peut-être un peu ambitieux, quand je vois le morceau qu’il reste à parcourir !

Guillaume me mouline dans les parties descendantes et lui désescalade ; ça nous fait gagner du temps. Puis, à un moment donné, au 4e sommet (mon conseil si vous voulez faire cette course : comptez-les. Ne zappez pas le 4!!), comme tous les précédents, on se décide à le grimper. C’est pas tout simple et il n’y a rien pour protéger… Bon… arrivés au sommet de ce gendarme, pas d’anneau pour un rappel, rien. Juste un malheureux piton tout rouillé qui se demande bien ce qu’il fait ici. Guillaume me mouline jusqu’à une sorte de petit replat, où il y a un autre piton, mais tout branlant et tout rouillé. L’incarnation du piton en fin de vie, en mode palliatif. Exclu de descendre dessus…. Guillaume entame donc une désescalade hyper expo pour rejoindre la base du gendarme, avec des cailloux qui tombent de partout et restent accrochés dans sa main… C’est limite déversant, on fait pas les fiers. Je le rejoins tant bien que mal et comme il a réussi à mettre un friend pour protéger la descente, j’essaie de l’enlever. Pendant 15 minutes. C’est dans un dévers, j’ai ma main droite prise, j’essaie avec la gauche, mon doigts est en sang à force de frotter le caillou… rien à faire. Je gueule, Guillaume gueule (ah ! ça faisait longtemps les petites disputes en montagne…) et je finis par abdiquer.

Donc, chers amis alpinistes, si vous faites cette voie et voyez un friend gris… vous saurez à qui il est, et ça veut dire que vous aussi vous avez fait fausse route. Je vous l’avais dit, qu’il faut compter les premiers gendarmes 😉

On comprend un peu tard que ce fameux gendarme se contourne par la droite, via une petite faille toute bête. Ah ben. C’est effectivement beaucoup plus simple !

Ce petit détour nous aura coûté donc un friend et une bonne demie heure de plus…. Mince alors, pour une fois qu’on tenait l’horaire ! On décide de presser le pas et d’avancer en corde tendue au maximum. Heureusement, on se connaît bien, on sait évoluer ensemble, et Guillaume sait quand protéger ou non. Mais ça reste un terrain bien exposé, on doit être concentré à chaque instant.

La vue est démente. On voit quasi tous les 4000m, du Cervin au Weisshorn, en passant par la Dent Blanche. En face, la traversée du Miroir d’Argentine, au programme aussi, et plus loin le Bietschhorn, fait l’année passée.

Il fait super bon, presque trop chaud. Une météo d’août… c’est incroyable. Et on est seul au monde. Que demander de plus ? (un bar avec rivella à gogo et piscine à débordement ? Oui je ne serais pas contre mais bon tâchons d’être déjà heureux avec ce qu’on a !)

Les parties de grimpe sont protégées par quelques spits. J’ai le bras gauche encore tétanisé par mon tirage infructueux de friend, mais j’essaie de tenir le rythme. L’arête a l’air encore longue, très longue…. Y a toujours ce moment, sur les arêtes, où on se dit que c’est interminable, que ça n’en finit pas. J’appréhende que ce syndrome me frappe bientôt…. Je demande à Guillaume où ça se termine, car je vois que l’arête se poursuit sur des kils… j’espère qu’il me répondra que ça s’arrête juste après la partie bien grimpante, mais non, il me dit que c’est tout là-bas. Ça me paraît plus loin que la lune. Plus loin que la fin de l’univers. Non mais sérieusement ? Faut aller là-bas ? Mais même en fusée, on n’arrivera jamais à être à 13h au sommet (c’est l’horaire qu’on s’était fixé dans un monde idéal).

Il y a une belle longueur qui grimpe. De loin, ça a l’air super raide, mais une fois au pied de la longueur on comprend que ça va bien aller (bon, je suis en 2e de cordée, ceci explique sans doute cela…) c’est un vrai plaisir de grimper là, dans un tel décors, en amoureux !

Nous parcourons ensuite une série de rasoirs ; j’ai jamais été très fan, mais à force d’en faire, je m’améliore. Le secret, c’est de faire confiance à l’adhérence des pieds…. J’essaie de ne pas me poser de question, et j’avance tant bien que mal. En vrai, j’ai presque du plaisir, parce que ces parties bien aériennes sont de toute beauté !

J’aime moins les parties où il faut marcher sur le fil de l’arête… Evidemment, ce n’est pas plat et c’est très étroit. Rien pour les mains à quoi s’agripper, et il faut faire confiance à ses pieds ! Je me refuse de regarder en bas. Je me concentre juste sur Guillaume, que j’essaie de rejoindre sans faire 12 crises d’angoisse à la seconde. Et oui, il faut avancer, c’est le lightmotiv de cette course si on ne veut pas finir de nuit !

Je rejoins Guillaume, qui se marre et me félicite. Hein ? Pourquoi ? Y a encore toute l’arête là non ? Non, me répond Guillaume ; c’est ici le sommet. Cet enfoiré m’a fait croire que l’arête continuait, alors que non, c’est le sommet. Quel soulagement (je le déteste aussi un peu hein sur le coup !), quelle fierté ! Il est à peine 13h, nous avons tenu l’horaire en plus !

On fait une bonne pause avant d’enchaîner les rappels qui nous permettront de rejoindre le col du Chamois. Il y en a des tonnes, et le crux finalement dans cette voie c’est de les trouver et de ne pas perdre du matériel dans les manipulations (ceux qui me connaissent savent de quoi je parle) ! Ils ont tous un catadioptre, ce qui est pratique quand on finit de nuit, mais de jour, ce n’est pas évident de les distinguer… on en zappe d’ailleurs un (le 7e je crois, celui qui a des dalles claires inclinées selon C2C) qui nous oblige à faire un rappel sur des cordelettes pas franchement engageantes… Mais bon, ça passe ! Il faut ensuite faire une traversée bien expo pour rejoindre le rappel suivant. Plusieurs fois, on se désencorde pour les rappels, et on se ré-encorde pour rejoindre le relai suivant ; c’est assez fastidieux mais on ne veut prendre aucun risque !

On arrive au col après 2 petites heures. De là, nous descendons vers la cabane. C’est très bien marqué, et même si c’est un sentier délité, ça passe très bien (on laisse la corde, ça me rassure). C’est clairement un chemin à prendre s’il fait encore jour, sinon il faut prendre le chemin par le glacier, parce que s’aventurer dans ce sentier sans voir les marques, de nuit, c’est beaucoup trop dangereux.

Moi qui suis vraiment une quille dans les terrains délités et les descentes je me débrouille étonnamment bien. Ça déroule comme il faut et en 45 minutes nous sommes à la cabane ! Le bonheur d’une bière offerte par Hadrien, qui nous a suivis aux jumelles lors de cette journée, une bonne pause, et on repart pour la voiture. J’oublie de resserrer mes chaussures et je sens que mes orteils morflent à chaque pas… faut dire que 1800m de dénivelés, c’est long. (enfin…. Peu importe les dénivelés, les descentes c’est toujours trop long !)

11h après avoir quitté la cabane, nous arrivons à la voiture. Quel bonheur d’enlever les chaussures. Et de se féliciter ; c’est une vraie fierté d’avoir réalisé cette course avec Guillaume sans exploser l’horaire et sans (trop) se gueuler dessus.

Sacrée jolie course, bien engagée, pas courte du tout, et de toute beauté.

Un mot de la fin ? On a un sacré bol d’habiter si près d’endroits aussi merveilleux. Et de pouvoir, sur un coup de tête, partir faire une si jolie course. En amoureux. Avec certes un friend en moins, quelques courbatures en plus, mais surtout de merveilleux souvenirs !

Infos et topo

topo AD 4b>3c III P2

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