Arête Sud du Salbitschjien

Voilà un petit moment qu’une idée me trotte derrière la tête : faire une course avec Caroline, chouette guide et surtout chouette personne, que j’ai eu l’occasion de connaître lors d’une journée de cascade de glace. Grâce à elle, j’avais appris à me perfectionner dans le planter du piolet (en même temps… vu le niveau, j’avais de la marge), et j’avais surtout beaucoup ri.

C’est donc une première pour moi, faire une course en montagne sans Guillaume. Je sais que ça me fera du bien de repartir en montagne, surtout après un début d’année compliqué, mais sans Guillaume, c’est une autre histoire.

Caroline me propose plusieurs idées. Comme j’ai à peu près rien fait depuis des mois, je préfère faire quelque-chose de pas trop dur, de pas trop long, sans marche d’approche interminable, et bien dépaysant. Moi, pénible et exigente ?

Elle me fait plusieurs propositions, dont une course de rocher dans les Alpes Uranaises. Oui, uranaises. C’est tellement perdu que même mon dictionnaire automatique ne comprend pas ce mot. Je n’ai jamais mis les pieds dans le canton d’Uri, j’imagine assez Heidi, les petites chèvres et les chalets en bois, ça me dit bien. Elle me propose l’arête Sud du Salbitchjien.

Je tape le mot sur google image, ça a l’air de toute beauté. Sans trop réfléchir je lui dis ok et nous posons des dates.

Uri, Heidi, les fleurs, c’est effectivement très joli mais c’est surtout très reculé. On commence avec 3heures de voiture, le col de la Furka, et nous nous parquons au départ de la cabane du Salbit. Il est 13h30, il fait super super super chaud. La cabane n’est qu’à 2h30 de montée, mais il fait une cuite… Heureusement, ça passe par la forêt, une bonne partie est ombragée, il y a même un ruisseau qu’on croise 3fois, on en profite pour se raffraîchir (je milite d’ailleurs pour un quota d’au moins un ruisseau par montée en cabane, à défaut de buvette qui sert du rivella frais). On voit bientôt le Salbit, énorme bloc de granit ciselé. Et là je me dis. W-O-W. Quel morceau. On va vraiment aller là-haut ?!?

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La cabane est très jolie, l’accueil est dément. On nous souhaite la bienvenue avec un verre de sirop de sureau frais. J’en rêve encore. Meilleur sirop du monde. Croyez-moi ou non, j’ai mangé le soir le meilleur risotto de ma vie. Une merveille. Bon, pour nous rappeler qu’on est en cabane, on a eu droit à la soupe en sachet et la traditionnelle pêche en conserve.

A 20h, deux alpinistes débarquent, complètement au bout de leur vie. Oui. 20heures. A chaque course en montagne, quand je commence à appréhender la longueur de la course et à me demander si je ne vais pas exploser l’horaire, il y a toujours une cordée pour débarquer la nuit tombée et nous dire à quel point la course est longue et interminable. Je suis sûre qu’il s’agit-là d’une conspiration. Ces types sont payés pour me faire encore plus flipper. Donc les deux braves hommes se posent à côté de nous, se délectent de la soupe en sachet (fallait arriver avant, il n’y a plus de risotto !) et nous expliquent que c’est hyper dur, hyper long, que ça ne passe pas en chaussure d’approche, qu’il faut des chaussures de montagne, blablabla (c’est pas moi qui dis blablabla, ce sont mes chaussures d’approche Scarpa).

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Contre toute attente, la nuit en cabane se passe plutôt bien pour moi, alors que le seul ronfleur est juste à côté (ravie de constater que mon aimant à ronfleur fonctionne toujours!). Réveil à 5h, petit-dej royal (bircher, pain maison, fromage… non mais c’est quoi le défaut de cette cabane ?) et on file à 5h30. Il fait déjà hyper chaud, on part en t-shirt. Il fait quasi jour, la lune est pleine, les lumières sont sublimes. Le soleil se lève peu à peu et illumine le Salbit. C’est de toute beauté. J’ai la forme, ça fait plaisir d’avoir un sac à dos tout léger sans crampon ni piolet, vive la grimpe caniculaire ! Après une bonne heure d’approche, nous arrivons au pied de la voie. Il y aura 17 longueurs. 17. Vous voyez un peu le morceau ? Par chance, personne n’est devant, on évite les embouteillages. Dès les premiers pas, Caroline me dit de mettre mes chaussons. Effectivement, pour du 4, ça n’a pas l’air simple du tout… J’avais lu d’ailleurs que niveau cotation, même le 3 reste une bonne grimpette. Et donc moi et mes courbatures aux bras on confirme.

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Une cordée d’irlandais arrive au pied de la voie. J’aime pas trop ça, ça me crispe d’avoir des gens derrière moi, mais ils sont sympa et me disent qu’ils ne sont pas stressés. Dès les premières longueurs, je comprends que je suis là dans une course mythique. Le rocher, du granit, est fabuleux, chaque longueur est sublime, variée, fine, aérienne. Bien sûr, je tire quelquefois sur les dégaines (faut pas déconner non plus), mais petit à petit je me sens à l’aise.

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Au bout de la 3e longueur, il y a un rappel à faire ; Caroline me mouline et me rejoint. Nous poursuivons les longueurs, plus dingues les unes que les autres, avec en arrière plan l’arête Ouest (costaude, il faut 10h à 14h selon le topo pour la faire… autant vous dire que bon, ce n’est pas pour moi, ou alors dans une autre vie !). On grimpe, on traverse, on fait des rappels, on oblique, on grimpe, ça déroule bien, c’est de toute beauté. A tel point que j’en oublie de compter les longueurs. Et que je trouverais presque mes chaussons d’escalade confortables (notez le « presque », d’une importance non négligeable). On rejoint bientôt une cordée d’allemands, ce sont des frères et ils sont super sympa. Tout comme la cordée d’Irlandais, mais eux sont loin derrière désormais. Ça avance bien, il fait super chaud, on est juste bien. Caroline est rassurante, drôle, je suis en pleine confiance avec et heureuse d’être là. On arrive au crux, un 5c+ (quand on sait qu’ici même les longueurs en 3 se méritent….), mais ça passe en 5a si on tire sur les dégaines. Ce que bien entendu je n’hésite pas à faire. Oui je sais, je brûlerai en enfer.

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Nous arrivons bientôt au sommet, avec un pic de 15mètres à gravir ; on emprunte un raccourcis, on passe dans un espèce de trou entre deux rochers (ce moment décisif pour voir si tu as fais trop d’excès durant l’été). On prend en photo les allemands, ils font de même. Sauf que je galère un peu pour monter ce rocher, c’est tout sauf plein de grâce… Enfin bon, on ne se refait pas, l’essentiel c’est que j’arrive en-haut. Une belle émotion  que je partage avec Caroline, une pensée pour Guillaume, les photos d’usage. Et ensuite, le meilleur moment de la course : enlever les chaussons de grimpe. Mes pieds poussent un grand soupir de soulagement en sentant l’air frais, en pouvant à nouveau gesticuler. Le répis est de courte durée puisque je remets mes scarpa pour la descente. 1800m tout de même jusqu’à la voiture…

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La première partie se désescalade, ensuite il y a un passage dans la neige de printemps, je suis super à l’aise (notez l’ironie), puis un long, très long chemin jusqu’à la cabane. En fait, pas si long que ça (800m), mais toujours beaucoup trop long. Faut que je me mette au wingsuit. Ou au parapente. Ou que je passe mon brevet de pilote d’hélico. Nous arrivons finalement à 16h à la cabane, on se prend une tarte aux pommes, du sirop, du fromage, une salade (ben quoi ? Oui. On a faim.) et on redescend à la voiture, sans oublier de se raffraîchir les jambes dans la rivière située juste à côté du parking. De là, 3h de route nous attendent pour regagner notre lit.

Je n’aurai pas vu Heidi. Mais j’aurai fait l’une des plus belles courses de rocher, sauvage, variée, avec une guide au top, toujours souriante et confiante. Merci Caroline pour ce chouette moment de partage !

 

 

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