Alphubel (4206m) par la Rotgrat

Après une matinée (et un début d’après-midi, pour cause de non-trouvage de début de voie) au très chouette pilier de Finges, nous voilà en route pour la cabane Täschutte. Une route nous mène au parking de Täschalp, et c’est tant mieux, parce que monter depuis Täsch à pied avec cette chaleur, ça m’aurait tuée.

Enfin bon, il est 17h et il fait encore super chaud. Cet été caniculaire, c’est quelque-chose… Nous nous préparons tranquillement et débutons la courte marche qui nous sépare de la cabane. Une petite heure de montée type au décor carte postale, avec vaches, fleurs et Weisshorn en arrière-plan, rien que ça. Mais il fait une tiaffe, la montée est en plein soleil. Je me traîne (ouais je sais : comme d’hab.)

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Après une heure, nous atteignons la cabane. Elle a été refaite et est franchement jolie, le panorama est juste sublime. Voilà, ça c’est pour les points positifs. Parce que niveau bouffe, je lui décerne la palme de la pire cabane. On nous sert de la salade de carottes en boîte, et même si je ne m’attends pas à du Bocuse, le rôti de porc dépasse toutes mes attentes. Il est … violet. A force d’avoir été réchauffé, refroidi, re-réchauffé, j’ai l’impression de manger du caillou et j’ai surtout peur d’être malade pour la course du lendemain.

Enfin bon, haut les cœurs, changeons-nous les idées. Ça tombe bien, on assiste à un magnifique coucher de soleil. Il fait encore super bon, et déjà plein de 4’000 nous guettent… je sens que demain le panorama sera sublime. Jérôme nous montre une partie de la Rotgrat  et le sommet de l’Alphubel. D’ici là, ça a l’air assez près et je me méfie toujours de cette impression souvent trompeuse !

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La nuit en cabane est… une nuit en cabane quoi ! Je ne dors pas beaucoup ; par contre, fait assez rare pour le signaler, quasi pas de ronflement. Et ça… ça vaut tous les rôtis rassis du monde.

On se lève à 3h30, le gardien aussi aimable qu’une porte de prison nous gratifie de son « Gueten Môôrrrrrrrrrrrrrrrrgen » avec en prime allumage de néon dans la tronche. Ça a le mérite de nous réveiller. Le déjeuner est pas si pire, je me force à avaler 2 tartines.

La dream team est au complet : Jérôme, Eric, Guillaume et moi, à nouveau réunis après des mois et des mois (et un accouchement).

En général, je n’aime pas du tout les marches d’approche jusqu’au pied des difficultés, surtout quand il fait nuit. Mais là, il fait bon, pas de vent, on a un rythme qui me va bien, le sentier est tout régulier et on gagne vite de l’altitude. Précisons quand même qu’après 10 minutes de marche la frontale de Guillaume s’éteint. Ah les merveilles technologiques, pourtant rechargées la veille… Bon il s’en sort quand même, heureusement que le terrain n’est pas compliqué. Au loin, nous voyons quelques frontales, les cordées devant nous, telles des petites lucioles qui sautillent. On en devine aussi derrière nous, sur l’arête du Cervin, et vers le Täschorn.

Nous arrivons au pied de l’arête. Il nous reste 1000m de dénivelés. Ah ouais quand même. Enfin bon, on boit, on mange, Eric fait des photos (Eric c’est le type, quand il sort son appareil, tu te dis toujours : hey mais qu’est-ce qu’il va bien pouvoir photographier ?! Et quand tu vois le résultat t’es juste bluffé.) On s’encorde et c’est parti.

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©Eric Gachet Photographie

Après une pause prolongée pour moi (nommée « Renaud », 10 mois et … zéro dent), je suis contente d’être à nouveau en montagne avec Guillaume et « mes » guides. Mais les débuts sont laborieux, mes gestes ne sont pas sûrs, je m’essouffle vite, je suis maladroite et j’ai dû mal à trouver mon rythme. Et puis, magie du corps humain, la machine se met en marche. Je ne suis pas Ueli Steck hein, mais j’avance gentiment. Le jour se lève tout doucement et nous assistons, je crois, à l’un des plus beaux levers de soleil.

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C’est pour moi toujours la récompense, ces moments-là. Ça vaut tous les réveils en pleine nuit, les marches d’approche, les rôtis rassis. Le Weisshorn se dévoile, plus majestueux que jamais. Les couleurs sont grandioses, pourpres, violettes, l’ambiance est surréelle. On a envie de faire une pause à chaque mètre pour se retourner, admirer le paysage et prendre une photo. Le Weisshorn, le Cervin, le Täshorn, tous les 4’000 se dévoilent et ce n’est pas fini !

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Nous avançons, et si le paysage est magnifique, il nous faut rester concentré car le rocher n’est pas stable. Beaucoup de pierres branlantes (je les appelle « les fourbes ». Elles ont l’air chou, faites pour être empoignées, mais en fait pas du tout). Je teste toutes les prises, j’en arrive même à être parano, à croire que j’empoigne une fourbe alors que non, pas du tout.

On gagne de l’altitude et, n’étant pas du tout acclimatée, je ne fais pas la fière. Je commence à avoir mal à la tête… et c’est Guillaume qui a l’aspirine. Je suis Eric et je me réjouis de rattraper la cordée de chamois Jérôme et Guillaume pour avoir ma petite aspirine. On en profite pour faire une pause, boire et manger, et surtout admirer le panorama. Il faut dire qu’on est à plus de 3500m et il fait super bon, c’est vraiment incroyable.

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Du coup, on prend le temps, et je dois dire que ça me va bien. Vu la chaleur, il n’y a quasi pas de neige pour le moment. Nous devons ensuite traverser un court passage en neige. Le premier passe sans les crampons, mais pas le second. On les chausse, on dégaine le piolet, on traverse ce replat de neige-glace et nous arrivons au pied des d’un gros caillou. On lève les yeux, on voit les cordées le grimper, et on se dit qu’on n’est pas rendu… C’est assez raide, imposant, mais ça a l’air bien chouette !

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On est bientôt à 4000m et je ne vais pas vite (bon… en même temps, même au niveau de la mer, je suis lente). Par contre, j’ai beaucoup de plaisir à grimper et je n’ai plus mal à la tête ! C’est varié et il y a de jolis mouvements. Bon, des fois je m’aide des genoux, faut pas déconner non plus.

Jérôme, Guillaume et Eric arrivent à la fin des difficultés. C’est presque indécent le nombre de 4000 qui nous entourent… la courone impériale bien sûr avec le Cervin, la Dent Blanche, le Weisshorn, le Zinalrothorn et l’Obergabelhorn, le massif du Mont-Rose, le Lyskam, les Breithorns, le Stralhorn de cet hiver, on les voit tous… tant de souvenirs, de sommets gravis, de montagnes comtemplées.

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Il me reste une longueur. Mais la corde est coincée entre 2 pierres et je n’arrive pas à la libérer… Du coup, je me faufile dans cette espèce de fissure. Faut pas être claustrophobe… ni obèse, parce que c’est vraiment pas bien épais. (Le joli bleu que j’aurai sur la cuisse après coup en est une preuve évidente).

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©Eric Gachet Photographie

 

Le sommet est proche. Il nous reste une légère arête de neige à remonter pour l’atteindre. J’adore ce moment. Quand le sommet est en vue, tout près. Un peu comme si le temps s’arrêtait, qu’on marche sur du velours. Sommet. Vite, le combo ambrassade-félicitation d’usage-photo et on commence la descente. On ne tarde pas car ça chauffe sec ! Il faut dire qu’avec cette chaleur je ne suis pas rassurée, mais il paraît que la descente est rapide et facile.

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Bon alors en fait pas du tout. Je le comprends très vite…

Nous prenons la voie normale par l’arête Est et je suis tout de suite dans le bain. Je vais en tête, corde courte, et la descente est vertigineuse. Une méga pente de neige. Gloups. Bon, je respire un bon coup, je plante mon piolet bien comme il faut, et je me lance. Mes crampons tiennent bien, mais le terrain est tout ce que je déteste. Mélange de glace vive, de neige, de trous… Brrr… Courage, fuyons. Je ne suis pas, mais alors pas du tout rassurée. Eric me propose de me mettre face contre la neige et de descendre à reculons ; je m’exécute. Je m’arrête en contrebas et je suis entourée de trous, de crevasses, de glace vive. Non mais quelle arnaque, c’est pas du tout une descente facile ça ! Je dis à Eric que bon, ça va pas le faire et que j’ai peur. Entre-temps, Jérôme a mis une vis à glace et mouline Guillaume plus bas. Moi je suis toujours bien flippée. Eric me rejoint, et au  moment d’arriver à ma hauteur, il s’encouble dans une sorte de trou sorti de nulle part. Par miracle, il se reprend et s’en sort avec une égratignure à l’avant-bras due à une petite glissade. J’ai eu le temps de planter mon piolet, voir ma vie défiler, me dire que j’allais mourir, que Guillaume me verrait tomber, que je ne verrais pas Renaud grandir. Ça n’a pas duré plus de 2 secondes, mais j’ai eu le temps de me dire tout ça. Et plein d’autres trucs. Comme si l’espace temps s’était rallongé considérablement.

Je pense que je viens de vivre l’une des plus grosses frousses de ma vie. Je ne sais pas si c’est comme les chats, que j’ai 7 vies, en tout cas je viens d’en griller une, à coup sûr. J’ai les jambes qui tremblent et là, tout de suite maintenant, j’aimerais bien que James Bond ou un de ses potes débarque avec son hélico et sa petite échelle pour me sauver. Eric n’est pas James Bond, il n’a pas d’hélico (damned !), mais il a une vis à glace et me mouline plus bas. On arrive au pied de cette interminable pente. Je fais pas, mais alors vraiment pas la fière, Eric m’encourage à chaque pas et je dois dire que j’en ai bien besoin (n’empêche, ce type, je sais pas comment il fait, mais il trouve toujours les bons mots au bon moment). Nous rejoignons la crête, Guillaume et Jérôme sont déjà bien plus loin (en même temps ils n’ont pas dû attendre James Bond, eux). La crête de neige est magnifique mais je ne l’apprécie pas vraiment… suis encore toute coincée des pattes arrières, comme dirait mon ami Philippe, et on marche tantôt sur de la neige, tantôt sur de la glace. Nous voyons en contrebas une cordée croisée au sommet qui est redescendue par l’autre voie normale et qui a une sacrée avance sur nous. C’était un peu une idée à la con, cette voie, je crois.

Nous rejoignons le glacier, Guillaume et Jérôme sont assis sur des cailloux. On en profite pour boire, manger, et j’essaie de respirer un bon coup et digérer cette grosse frayeur. Guillaume a bien flippé aussi, il a assisté au spectacle en-dessous, il a dû avoir son moment d’émotion, lui aussi…

La descente vers la cabane se fait sur ce glacier, qui a terriblement fondu. On traverse plutôt des rivières que des glaciers ; quelle tristesse. Le réchauffement climatique n’est pas qu’un concept, c’est vraiment en train de se passer, maintenant, sous nos yeux. Les glaciers alentours sont aussi tout secs, la langue glacière a diminué drastiquement, je ne sais pas si Renaud verra un jour ce que nous voyons aujourd’hui, s’il pourra marcher sur des glaciers quand il sera grand…

(hey mais je plombe un peu l’ambiance là non ?). Nous avançons vite et bientôt nous enlevons nos crampons et les cordes. Allez, encore une heure pour rejoindre la cabane, avec en prime un joli lac en passant. On suit les cairns et nous arrivons enfin à la cabane. Bonheur. J’hésite à enlever mes chaussures mais je sais que les remettre quelques minutes après serait une torture. Pause Rivella et descente à la voiture, sous un soleil de plomb. 500 petits misérables mètres, mais que mes pieds sentent passer (Allez Elise, pense aux 1600m de la Rotthornhütte !).

Enfin à la voiture, enfin les tongs, oui, cette invention merveilleuse qui te réconcilie avec tous les problèmes existentiels de ta vie : rôti rassis, glace vive et trous fourbes, frayeur sans James Bond, lampes frontales foireuses, transpiration excessive. Heureusement, il y a aussi tous les moments magiques (à part les tongs) : les moments forts partagés avec mon amoureux, des guides qui débitent des gags bien pourris mais qu’on adore, des couchers et levers de soleil hallucinants, des panoramas sublimes, des pauses rivella au sommet, des photos d’Eric, et les retrouvailles avec le p’tit Renaud. Et un peu de fierté aussi d’avoir accompli là une bien jolie course, technique, longue, effrayante, sublime, fatigante, fourbe, panoramique, magique. Oui, tout ça en même temps.

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